Page:Dostoievski - Les Pauvres Gens.djvu/218

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izbas du rivage, on ramène le bétail à l’étable ; — alors sans bruit je m’esquive de la maison pour aller voir mon lac, et je m’oublie à le contempler. Tout au bord, des pêcheurs ont allumé un fagot de broussailles, et la lumière se projette au loin sur l’eau. Froid, d’un bleu foncé, le ciel est bordé, à ses extrémités, de franges rouges, flamboyantes, dont l’éclat pâlit peu à peu ; la lune se lève ; qu’un oiseau effrayé s’envole, qu’un roseau vibre au souffle de la brise, ou qu’un poisson gargouille dans l’eau, — l’air est si sonore qu’on entend tout. Au-dessus du lac bleu noir s’élève une vapeur blanche, légère, transparente. Le lointain s’assombrit ; là-bas tout semble noyé dans un brouillard, mais ici tout se détache avec une netteté, un relief extraordinaires, — le canot, le rivage, les îles ; — un tonneau abandonné, oublié tout près du bord, flotte doucement sur l’eau ; une petite branche de cytise aux feuilles jaunies s’embarrasse dans un roseau ; — une mouette attardée prend son essor, s’enfonce dans l’eau froide, puis, s’envolant, va se perdre dans le brouillard ; — je ne me lassais pas de regarder, d’écouter, — je me sentais extrêmement heureuse ! Et j’étais encore un enfant, un baby !...