Page:Dostoievski - Niétotchka Nezvanova.djvu/162

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— Je vous prie…, pas de phrases, continua d’un ton méprisant Piotr Alexandrovitch. Je n’aime pas cela. La chose est simple, vulgaire, nullement compliquée. Je vous interroge sur sa conduite. Connaissez-vous…

Mais je ne le laissai pas achever. Le saisissant par le bras, je le tirai violemment de côté ; encore un moment et tout pouvait être perdu.

— Ne parlez pas de la lettre, chuchotai-je rapidement, vous la tueriez sur le coup. Elle ne peut pas me juger, parce que je sais tout… Comprenez-vous, je sais tout !

Il me regarda fixement, avec une curiosité sauvage, et se troubla. Le sang lui monta au visage.

— Je sais tout, tout, répétai-je.

Il hésitait encore. La question était au bout de ses lèvres. Je le prévins.

— Voici, ce qu’il y a eu, dis-je à haute voix, très vite, en m’adressant à Alexandra Mikhaïlovna, qui nous regardait très étonnée. Je suis seule coupable. Il y a déjà quatre ans que je vous trompe. Je me suis approprié la clef de la bibliothèque et pendant quatre ans j’ai lu en cachette. Piotr Alexandrovitch m’a surprise lisant un livre qui… ne pouvait pas, ne devait pas être entre mes mains. Dans sa crainte pour moi, il a exagéré le danger à vos yeux. Mais je ne me justifie pas. Je suis coupable. La tentation était plus forte que moi et, ayant commis cette faute une fois, j’ai eu honte ensuite d’avouer mon acte. Voilà tout, presque tout ce qui s’est passé entre nous…

— Bien imaginé ! chuchota près de moi Piotr Alexandrovitch.

Alexandra Mikhaïlovna m’écoutait avec une attention profonde, mais la méfiance se reflétait sur son visage. Elle regardait à tour de rôle tantôt moi, tantôt son mari. Le silence s’établit. Je respirais à peine. Elle inclina la tête sur sa poitrine et ferma les yeux, pesant évidement chacun des mots que j’avais prononcés. Enfin elle releva la tête et me regarda fixement.

— Niétotchka, mon enfant, je sais que tu ne sais pas mentir, prononça-t-elle. C’est tout ce qui s’est passé, absolument tout ?

— Tout, répondis-je.