Page:Dostoievski - Niétotchka Nezvanova.djvu/62

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pour rassembler ses idées, mon enfant, j’ai oublié… Quoi ? Que faut-il encore ?… Je ne me rappelle pas… Oui, oui, je sais… Viens ici, Niétotchka… »

Il me conduisit dans le coin où était l’icône et me fit mettre à genoux.

— « Prie, prie, mon enfant ! Ce sera mieux… Oui, vraiment, ce sera mieux… me chuchota-t-il en indiquant l’image sainte et me regardant étrangement. Prie, prie… » fit-il d’une voix suppliante.

Je me mis à genoux, je joignis les mains et, pleine d’effroi et de désespoir, je m’effondrai sur le sol ; je restai ainsi pendant quelques minutes, comme morte. Je tendais toutes mes pensées, tous mes sentiments vers la prière ; mais la crainte l’emportait. Je me relevai torturée par l’angoisse. Je ne voulais plus le suivre. J’avais peur de lui. Je voulais rester. Enfin ce qui me tourmentait s’échappa de ma poitrine.

— « Père, dis-je en fondant en larmes, et maman ? Qu’est-ce qu’elle devient, maman ? Où est-elle ? Où est maman ? »

Je ne pouvais plus prononcer un mot et fondis en larmes. Lui aussi, les larmes aux yeux, me regardait. Enfin il me prit par la main, m’emmena vers le lit, écarta le monceau de vêtements et rabattit la couverture. Mon Dieu ! Elle était morte, déjà froide et bleuie. Presque sans connaissance, je me jetai sur le cadavre de ma mère et l’enlaçai.

Mon père me fit mettre à genoux.

— « Salue-la, mon enfant, dis-lui adieu », fit-il.

Je m’inclinai. Mon père salua avec moi. Il était affreusement pâle ; ses lèvres remuaient et murmuraient quelque chose.

— « Ce n’est pas moi, Niétotchka, ce n’est pas moi ! me dit-il en indiquant le cadavre d’une main tremblante. Tu entends. Ce n’est pas moi. Je ne suis pas coupable de cela. Souviens-toi, Niétotchka.

— « Papa ! Allons, il est temps, chuchotai-je, saisie de peur.

— « Oui, il y a longtemps qu’il fallait partir », et me saisissant par le bras il marcha résolument vers la porte. « Eh bien, maintenant, en route ! Grâce à Dieu, maintenant tout est fini ! »

Nous descendîmes l’escalier. Le portier, à demi endormi,