Page:Dostoievski - Niétotchka Nezvanova.djvu/74

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fait sauvage, que je ne savais ni faire la révérence, ni baiser la main. L’interrogatoire commença, et je répondis à peine. Mais quand elle me questionna sur mon père et ma mère, je me mis à pleurer. Cela fut désagréable à la vieille. Toutefois elle essaya de me consoler et me recommanda de mettre mon espoir en Dieu. Ensuite elle me demanda quand j’étais allée à l’église pour la dernière fois. Je compris à peine sa question, car mon éducation avait été très négligée. La vieille princesse était terrifiée.

On envoya chercher la princesse. Un conseil fut tenu ; il fut décidé qu’on me conduirait à l’église le dimanche suivant ; et la vieille princesse promit d’ici là de prier pour moi, mais donna l’ordre de m’emmener, car, disait-elle, j’avais produit sur elle une impression très pénible. Il n’y avait à cela rien d’extraordinaire ; il en devait même être ainsi ; on voyait que je lui avais franchement déplu. Le même jour, on envoya dire que je faisais trop de bruit et qu’on m’entendait dans toute la maison, bien que je fusse restée la journée entière sans bouger. Évidemment, c’était une idée de la vieille ; cependant, le lendemain, on fit la même observation.

Ce jour même, il m’arriva de laisser tomber une tasse qui se brisa. La Française et toutes les chambrières étaient au comble du désespoir. Immédiatement on me relégua dans la chambre la plus reculée, où tous me suivirent en proie à la plus profonde terreur.

J’ai oublié comment se termina cette histoire. Mais voilà pourquoi j’étais heureuse de m’en aller en bas et d’errer seule dans les grandes salles, sachant que, là, je ne dérangerais personne.

Je me rappelle qu’une fois, je m’assis dans une des salles du bas et, cachant mon visage dans mes mains, la tête baissée, je restai là je ne sais plus combien d’heures ; je pensais, je pensais, sans répit. Mon esprit n’était pas assez mûr pour résoudre toute mon angoisse, et quelque chose m’oppressait l’âme de plus en plus. Soudain une voix douce m’appela :

— « Qu’as-tu, ma pauvrette ! »

Je levai la tête. C’était le prince. Son visage exprimait une compassion profonde, et je le regardai d’un air si malheureux qu’une larme parut dans ses grands yeux bleus.

— « Pauvre orpheline ! prononça-t-il, en me caressant la tête.