Page:Dostoievski - Niétotchka Nezvanova.djvu/83

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fut un peu effrayée par moi ; elle m’examinait avec étonnement, à son habitude, quand, au bout d’une heure d’explications pour me montrer à jouer au volant, elle constatait que je n’y entendais rien. Alors aussitôt je devenais triste, à tel point que des larmes étaient prêtes à couler de mes yeux ; elle, après avoir réfléchi et n’obtenant rien de mes réflexions, m’abandonnait tout à fait et se mettait à jouer seule, ne m’invitant plus à jouer pendant des journées entières, et ne me parlant même plus, son mépris frappait tellement que je pouvais à peine le supporter. Ma nouvelle solitude était pour moi plus pénible que la première et, de nouveau, je devenais triste, je me mettais à réfléchir, et des idées noires envahissaient mon cœur.

Mme  Léotard, qui nous surveillait, remarqua enfin ce changement dans nos rapports ; et comme elle s’était aperçue tout d’abord de ma solitude forcée, elle s’adressa à la petite princesse qu’elle gronda, pour ne pas savoir se conduire avec moi. La princesse fronça les sourcils, haussa les épaules et déclara qu’elle ne pouvait rien faire avec moi, que je ne savais pas jouer, que je pensais toujours à autre chose, et qu’il valait mieux attendre que son frère Alexandre revînt de Moscou, parce qu’alors ce serait plus gai pour toutes deux.

Mais Mme  Léotard, peu satisfaite de cette réponse, fit observer à Catherine qu’elle me laissait seule alors que j’étais encore malade, et que je ne pouvais pas être aussi gaie qu’elle ; que du reste cela valait mieux ainsi, parce qu’elle était vraiment trop dissipée, faisait beaucoup de sottises, si bien que l’avant-veille le bouledogue avait failli la dévorer. En un mot, Mme  Léotard la gronda vertement et finit par l’envoyer vers moi avec l’ordre de faire la paix tout de suite.

Catherine écouta Mme  Léotard avec une grande attention, comme si en effet elle comprenait qu’il y avait quelque chose de nouveau et de juste dans ses réprimandes. Abandonnant le cerceau qu’elle promenait dans la salle, elle s’approcha de moi et, me regardant d’un air très sérieux, me demanda étonnée :

— « Est-ce que vous voulez jouer ?

— « Non, répondis-je, ayant peur pour moi et pour Catherine parce que Mme  Léotard l’avait grondée.

— « Que voulez-vous donc ?

— « Je resterai ici. Il m’est difficile de courir. Seulement