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carême

— Certes, monseigneur, car pour lui c’est carême toute l’année, et sûrement, s’il est étendu là, c’est de besoin…

— Pardieu ! il a pourtant de quoi se rassasier, dit un diable rouge, en soulevant le couvercle du pâté.

— Il en est incapable, messire Duchâtel.

— Tu le connais donc, Chartier ?

— Tous les escholiers le connaissent, monseigneur ; c’est le tourne-broche et le souffre-douleur de Thibaut, du Faisan doré, dont la boutique avoisine le collège des Bons-Enfants. Le vieux ladre, qui fait de si bonne cuisine, laisse à peu près mourir de faim ce malheureux et pousse la férocité jusqu’à lui défendre de jamais rien accepter au dehors. Si bien que, l’estomac criant famine, Carême n’en répond pas moins à qui lui offre un morceau par charité : « Je n’ai pas faim ! »

— C’est une brute, ton maître Thibaut, et son marmiton un idiot. Par la mort-Dieu ! il soupera ce soir ou j’y perdrai mon nom. Ne le ranime pas encore, Chartier, et vous-autres portez-le à l’hôtel…

— Et son panier ?…

— Son panier aussi…

— C’est qu’il est sans doute destiné au duc de Bourgogne, ses armes sont gravées sur le pâté.

— Raison de plus, répliqua le jeune homme en riant.