Page:Doyle - Du mystérieux au tragique.djvu/20

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cide et on n’y releva aucune trace du sac de cuir brun que le conducteur avait vu aux mains du grand voyageur ; le seul indice qu’on recueillit du passage des trois disparus, ce fut une voilette de dame dans le filet. En dehors du crime lui-même, la question de savoir comment trois individus, dont une dame, avaient pu quitter le train, et l’un d’eux y monter en pleine marche entre Willesden et Rugby, excita au plus haut point la curiosité du public et souleva de vives discussions dans la presse londonienne.

John Palmer, le conducteur, fournit à l’enquête un renseignement qui jeta là-dessus quelque clarté. Il y avait, déclara-t-il, entre Tring et Cheddington, un endroit où, par suite de réparations effectuées sur la voie, le train avait dû ralentir jusqu’à une vitesse ne dépassant pas huit à dix milles à l’heure. Il se pouvait qu’à cet endroit un homme et même une femme exceptionnellement agiles eussent sauté d’un wagon sans se faire grand mal. À la vérité, une équipe de poseurs occupait la ligne, et ces gens n’avaient rien observé ; mais comme ils se tenaient d’ordinaire dans l’intervalle entre les parties ballastées et que la portière ouverte se trouvait sur le côté opposé, on concevait que quelqu’un eût pu sauter inaperçu, d’autant qu’on était à la nuit tombante. Un remblai en pente raide dérobait immédiatement à la vue quiconque avait échappé à l’attention des ouvriers.

Le conducteur ajouta qu’il régnait une grande animation sur le quai de Willesden Junction, et, si l’on était sûr que personne n’eût quitté ou pris le train dans cette gare, il se pouvait cependant que certains des voyageurs eussent, sans qu’on y prît garde, passé d’un compartiment dans un autre. Il arrivait à chaque instant qu’après avoir fumé un cigare dans le compartiment des fumeurs, un voyageur cherchât une atmosphère plus respirable. Supposé que l’homme à la barbe noire eût fait ainsi à Willesden — et le cigare à demi fumé autorisait cette supposition, — il avait dû gagner le compartiment le plus proche, et se rencontrer ainsi avec les deux autres acteurs du drame. L’affaire, à son début, se laissait reconstituer avec quelque vraisemblance. Comment elle avait tourné ensuite, comment elle avait abouti à son dénouement, ni le conducteur ni les officiers de la sûreté, en dépit de leur expérience, ne parvinrent, là-dessus, à formuler le moindre avis.

Une visite minutieuse de la ligne entre Willesden et Rugby, amena une découverte qui pouvait avoir — ou ne pas avoir — un rapport avec le drame. Près de Tring, à l’endroit même où le train avait ralenti de vitesse, on ramassa au bas du remblai une petite Bible de poche, vieille et fatiguée. Elle sortait des presses de la Société Biblique de Londres et portait plusieurs inscriptions. Sur la feuille de garde : « De John à Alice, 13 janvier 1856. » Au-dessous : « James, 4 juillet 1859 ». Plus bas encore : « Édouard, 1er novembre 1869. » Tout cela tracé de la même main. Ce fut la seule indication — si c’en était une — que recueillit, tout compte fait, la police ; et le verdict du coroner : « Assassinat par un ou plusieurs inconnus » termina sans rien conclure cette étrange affaire. Annonces dans les journaux, promesses de récompense, recherches, tout resta également infructueux : on ne trouva rien pour servir de base utile et solide à l’enquête.

Ce serait pourtant une erreur gros-