Page:Doyle - Du mystérieux au tragique.djvu/58

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en mon pouvoir ? Après mûre réflexion, je pris une décision qui peut vous paraître folle ; et pourtant, si j’avais à recommencer, je crois bien que je n’en prendrais pas d’autre.

« J’imaginai de replacer les pierres sans prévenir personne. Mes clefs me permettaient d’entrer dans le Musée. Je comptais éviter Simpson, dont je connais les habitudes. Je résolus de ne me confier à qui que ce fût, pas même à ma fille ; et je lui dis que je partais voir mon frère en Écosse. Je voulais être libre quelques nuits sans qu’on s’inquiétât de mes allées et venues. À cette fin, je louai, le soir, une chambre dans Harding Street. Je laissai entendre que j’étais imprimeur et que je rentrerais à des heures tardives.

« Cette nuit même, je pénétrai dans le Musée et replaçai quatre des pierres. Travail très pénible, qui me prit la nuit entière. Un bruit de pas me signalait de loin les rondes de Simpson ; et je me cachais dans le coffre à momie. J’avais quelques notions d’orfèvrerie ; mais j’étais loin de l’habileté déployée par le voleur. L’état des montures ne laissait pas soupçonner qu’on y eût touché ; au contraire, mon travail était maladroit et rude. J’espérais cependant qu’on n’irait pas examiner de près le pectoral et qu’on ne remarquerait pas, avant mon opération terminée, le mauvais état des montures. Le lendemain, je rétablis encore quatre pierres. J’aurais fini cette nuit sans la déplorable circonstance qui m’a contraint à vous avouer ce que je désirais tant tenir caché. J’en appelle à vous, Messieurs, à votre sentiment de l’honneur, à votre pitié : vous déciderez si ce que je viens de vous dire doit ou non avoir des suites. Mon bonheur, celui de ma fille, la régénération possible d’un homme, je remets tout cela entre vos mains. »

— C’est-à-dire que tout est bien qui finit bien, répondit mon ami ; et cette histoire finira ici même, à l’instant même. Un orfèvre expérimenté resserrera demain les montures trop lâches ; ainsi aura passé le danger le plus grave qui depuis la destruction du Temple ait menacé l’urim et thummim. Voici ma main, professeur Andréas. Je veux croire qu’en des circonstances aussi délicates j’aurais su agir avec autant de désintéressement et d’à-propos.


Ce récit a un épilogue.


Un mois plus tard, Élise Andréas épousait un homme dont je ne prononcerais pas le nom sans soulever les protestations : car il est de ceux qu’entoure la considération générale. Mais cette considération, si l’on venait à savoir la vérité, se reporterait toute sur la jeune fille qui a ramené cet homme de si loin sur la fatale route d’où si peu reviennent.