Page:Doyle - L’Ensorceleuse.djvu/9

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donner des études aussi intéressantes, mais ce serait encore plus grand dommage de ruiner mon existence, et je sais que je ne peux pas me fier à moi-même avec cette femme.


11 heures du soir.

Mon Dieu ! mon Dieu ! mais qu’ai-je donc ? Est-ce que je deviens fou ?… Voyons, tâchons d’être calme et de raisonner un peu. Je vais commencer par rapporter exactement ce qui s’est passé.

Il était près de huit heures lorsque j’écrivis les lignes avec lesquelles commence cette journée. Me sentant étrangement inquiet et agité, je sortis de chez moi pour aller passer la soirée avec Agatha et sa mère. Elles remarquèrent toutes deux que j’avais la figure pâle et défaite. Vers neuf heures, le professeur Pratt-Haldane vint nous retrouver, et nous fîmes un whist avec lui. Je m’efforçais tant que je pouvais de concentrer mon attention sur les cartes, mais cette sensation d’inquiétude croissait peu à peu, et elle finit par devenir si grande que je devins impuissant à lutter contre elle. C’était plus fort que moi, je ne pouvais rester assis à la table de jeu. À la fin, au beau milieu d’une partie, je jetai mes cartes, marmottai quelques vagues excuses en prétextant un rendez-vous et m’élançai hors du salon.

Comme si cela s’était passé dans un rêve, je me souviens confusément d’être dégringolé quatre à quatre dans le vestibule, d’avoir arraché mon chapeau de la patère où il était accroché et d’être sorti en claquant la porte derrière moi. Comme si j’avais vu cela en rêve également, je garde l’impression d’une double rangée de réverbères s’étendant dans la nuit, et mes bottines éclaboussées de boue me font voir que je dus courir en suivant le milieu de la chaussée. Tout cela fut imprécis, étrange et pas naturel. J’arrivai à la maison de Wilson, je vis Mme Wilson et je vis Mlle Penclosa, je n’ai qu’un souvenir très obscur de notre conversation, mais ce que je me rappelle bien, c’est que Mlle Penclosa fit mine de me menacer avec sa béquille et m’accusa d’être en retard et de n’avoir plus l’air de m’intéresser autant à nos expériences. Nous n’avons pas fait d’hypnotisme, mais je suis resté un certain temps, et je viens seulement de rentrer.

Mon cerveau est redevenu tout à fait lucide à présent, et je suis en état de pouvoir réfléchir convenablement à ce qui s’est passé. Il serait absurde de supposer que c’est uniquement ma faiblesse et la force de l’habitude qui m’ont fait agir ainsi. J’ai essayé de me l’expliquer de cette manière-là l’autre soir, mais je m’aperçois à présent que ce n’est pas suffisant. Il s’agit de quelque chose de bien plus profond et de bien plus terrible. Car enfin, lorsque j’étais en train de jouer au whist chez les Marden, j’ai été littéralement traîné au dehors, tout comme si l’on m’avait tiré par le cou avec une corde. Je ne peux plus me le dissimuler désormais : cette femme s’est emparée de moi. Elle me tient dans ses griffes. Mais il faut que je garde tout mon sang-froid, et que j’essaie de raisonner la chose afin de voir quel sera le meilleur parti à prendre.

C’est égal ! Faut-il que j’aie été assez aveugle et assez stupide pour me laisser entortiller pareillement ! Dans mon enthousiasme à poursuivre mes recherches, je n’ai pas vu le gouffre béant qui s’ouvrait sous mes pieds, et j’y suis tombé.

Ne m’a-t-elle pas elle-même averti ? Ne m’a-t-elle pas dit, ainsi que je peux le lire dans mon