Page:Doyle - La Main brune.djvu/14

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

« Ce n’était qu’une expérience, une tentative désespérée, dis-je, son succès me transporte. Mais comment savez-vous que tout va bien ? Avez-vous vu quelque chose ? »

Il s’était assis au pied de mon lit.

« J’en ai vu assez, dit-il. Je n’ai plus d’ennuis à craindre. Ce qui s’est passé tient en peu de mots. Vous savez que notre individu se présente régulièrement à une certaine heure. Il arriva ce soir à l’heure habituelle et m’éveilla plus brutalement que de coutume. Je présume que sa déception de la veille avait accru sa colère. Il me regarda furieux et partit faire sa ronde. Mais au bout de quelques minutes et, contre son habitude, il revint dans ma chambre. Il souriait. Je voyais dans la demi-obscurité luire ses dents blanches. Il se dressa devant moi, au bout de mon lit, et me fit trois fois le salaam très bas par lequel les Orientaux prennent solennellement congé. En s’inclinant pour la troisième fois, il éleva ses bras au-dessus de sa tête, et je vis dans l’air ses deux mains. Après quoi il disparut… pour toujours, j’imagine. »

Telle fut la curieuse aventure qui me valut l’affection et la gratitude de mon oncle, le célèbre chirurgien des Indes. Ses prévisions se réalisèrent : jamais plus ne vinrent le troubler les visites du montagnard en quête de sa main perdue. Sir Dominick et lady Holden connurent une vieillesse heureuse, que n’assombrit, autant que je sache, aucun nuage, et moururent lors de la grande épidémie d’influenza, à quelques semaines l’un de l’autre. Tant qu’il vécut, sir Dominick ne cessa de me consulter sur mille détails de cette vie anglaise qui lui était si peu familière ; et je l’aidai aussi dans des acquisitions et des transformations de terrains. Ce ne fut donc pas pour moi une grande surprise quand je me trouvai passer par-dessus la tête de cinq cousins exaspérés, et que de petit docteur de campagne, je devins inopinément le chef d’une importante famille du Wiltshire. Moi, du moins, j’ai des motifs de bénir la mémoire de l’homme à la main brune et le jour où je fus assez heureux pour délivrer Rodenhurst de son indiscrète présence.