Page:Doyle - La Main brune.djvu/20

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t-il, me tendant la main ; entrez, mon garçon, entrez vite ! et ne laissez pas la porte ouverte. Votre mère, parbleu ! avait raison quand elle parlait de vous comme d’un beau jeune homme. Voici une demi-couronne, William, vous pouvez vous retirer. Posez là ces paquets. Vous, Enoch, prenez les affaires de Mr. John et mettez le souper sur la table. »

Quand il s’en revint de barricader la porte et qu’il m’introduisit au salon, je remarquai ce qui était, chez lui, la particularité caractéristique. Les blessures reçues quelques années auparavant lui ayant laissé, comme je l’ai dit, une jambe plus courte que l’autre de plusieurs pouces, il y remédiait en portant une de ces énormes semelles de bois que prescrivent en pareil cas les chirurgiens. Il évitait ainsi la claudication ; mais, quand il marchait, le battement alternatif du bois et du cuir sur le dallage produisait un clic-clac singulier. Et il ne se bougeait qu’au rythme de ces étranges castagnettes.

La grande cuisine, avec son âtre immense et les sièges sculptés qui la garnissaient aux deux coins, montrait que la maison était une très vieille ferme. Sur un des côtés de la chambre se dressait une pile de boîtes, toutes empaquetées et ficelées. Les meubles étaient peu nombreux et laids. Sur une table à tréteaux, au centre de la pièce, l’on avait servi à mon intention une espèce de souper, viande froide, pain et broc de bière. Un vieux domestique, cockney aussi avéré que son maître, et répondant au nom d’Enoch, faisait le service, tandis que mon oncle, assis dans un coin, me questionnait sur ma mère et sur moi-même. Sitôt que j’eus fini de manger, mon oncle donna l’ordre à Enoch de tirer mon fusil de son étui. J’observai que deux autres fusils, vieux et rouilles, étaient posés contre le mur, près de la fenêtre.

« C’est la fenêtre que je crains, dit mon oncle, d’une voix grave et sonore qui contrastait bizarrement avec sa petite personne grassouillette. La porte est à l’épreuve de toute espèce de dynamite Mais la fenêtre m’épouvante. Hé, là ! Hé, là ! glapit-il, ne passez pas dans la lumière ; et, quand vous traversez la fenêtre, baissez-vous !

— Crainte d’être vu ? demandai-je.

— Crainte de recevoir un coup de feu, mon garçon. C’est toute l’affaire. À présent, venez vous asseoir près de moi, sur la table, et causons. Car je vois que vous êtes ce qu’il me faut, un homme de confiance. »

La flatterie, toute grossière et maladroite qu’elle fût, prouvait son désir violent de me gagner à lui. Je m’assis à son côté et il tira un papier de sa poche. C’était un numéro du Western Morning News, vieux de dix jours. Il y soulignait, d’un ongle long et noir, un entrefilet concernant la mise en liberté, à Dartmoor, d’un condamné nommé Elias, qui avait bénéficié d’une réduction de peine pour avoir défendu un gardien attaqué dans les carrières.

« Qui est cet homme ? demandai-je. »

Mon oncle souleva sa jambe infirme.

« L’homme qui m’a fait ça. Car c’est à ça qu’il devait sa condamnation. Le voilà libre aujourd’hui, et de nouveau à mes trousses.

— Pourquoi serait-il à vos trousses ?

— Parce qu’il veut me tuer. Parce qu’il n’aura de repos, le drôle, que quand il aura pris sa revanche. Neveu, je n’ai pas de secret pour vous. Il s’imagine que je lui ai fait du tort. Admettons-le, pour les besoins de la cause. Tant il y a que, maintenant, je les ai tous après moi, lui et ses amis ? »

La grosse voix de mon oncle faiblit tout d’un coup, devint un timide murmure.

« Des marins, souffla-t-il. Je compris d’emblée, avant-hier, en lisant ce journal, que je devais m’attendre à leur visite. Je regardai par la fenêtre ; trois d’entre eux épiaient la maison. C’est alors que j’écrivis à votre mère. Ils m’ont relancé. Ils attendent l’autre.

— Pourquoi ne pas envoyer chercher la police ? »

Les yeux de mon oncle évitèrent les miens.

« Pas besoin de police. C’est vous qui pouvez m’aider.

— Comment cela ?

— Je vais vous le dire. Je veux m’en aller. C’est pourquoi vous voyez là toutes ces caisses. J’aurai bientôt terminé mes paquets. J’ai des amis à Leeds, je me sentirai plus en sûreté dans cette ville. Non pas en sûreté, vous m’entendez, mais plus en sûreté, vous m’entendez mais plus en sûreté. Je pars demain. Restez avec moi jusque-là, ce ne sera