Page:Doyle - La Main brune.djvu/40

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« En vérité, Mr. Weld, dit-il, voici une intéressante coïncidence. Si je ne me trompe, le latin et l’anglais sont votre affaire, et vous préfèreriez pour quelque temps une place dans un établissement élémentaire où vous auriez du loisir pour vos études personnelles.

— En effet.

— Par cette lettre, un de nos vieux clients, le docteur Phels Mc Carthy, de l’Institution de Willow Lea House, West Hampstead, me charge de lui procurer tout de suite un jeune homme capable d’enseigner le latin et l’anglais à quelques élèves de quinze ans. L’emploi me semble vous convenir expressément. Non pas que les conditions en soient magnifiques : soixante livres par an, avec la nourriture, le logement et le blanchissage ; mais vous n’auriez pas grand’chose à faire, et vous disposeriez de vos soirées.

— Cela me va, m’écriai-je, avec l’empressement d’un homme qui trouve enfin une occupation après des mois de recherches.

— Je ne sais pas si j’agis là bien correctement à l’égard des candidats dont nous avons depuis si longtemps les noms sur nos listes, ajouta Mr. Lumsden en donnant un coup d’œil à son registre. Mais le hasard de cette demande qui m’arrive devant vous me fait comme un devoir de vous la soumettre.

— Eh bien, Mr. Lumsden, j’accepte la place et vous suis fort obligé.

— Voici une petite provision jointe à la lettre. J’ajoute que le docteur Mc Carthy exige du candidat un caractère imperturbable.

— Je suis son homme même, assurai-je.

— J’espère qu’en effet, vous l’êtes autant que vous dites, répliqua Mr. Lumsden après une petite hésitation ; car j’imagine que vous pourriez en sentir l’utilité.

— C’est, je présume, le cas de tous les professeurs dans l’enseignement élémentaire.

— Sans doute. Monsieur, mais il n’est que loyal de vous prévenir que, dans la situation que je vous offre, telles circonstances peuvent se produire qui vous mettent à l’épreuve. L’exigence du docteur Mc Carthy ne va pas sans de bonnes et pressantes raisons. »

Il y avait dans l’accent de Mr. Lumsden une gravité qui ne laissa pas de refroidir l’enthousiasme avec lequel j’avais accueilli cette place providentielle.

« Pourrais-je savoir la nature de ces circonstances ? demandai-je.

— Nous nous efforçons de tenir la balance égale entre nos clients et d’être parfaitement francs envers les uns comme envers les autres. Si je voyais des objections en ce qui vous concerne, j’en ferais certainement part au docteur Mc Carthy ; aussi n’hésité-je pas à vous traiter de même. Je constate… »

Ici, Mr. Lumsden consulta d’un regard les pages de son grand livre.

« … que dans le courant des douze derniers mois nous n’avons pas fourni moins de sept professeurs de latin à l’Institution de Willow Lea House. Quatre d’entre eux sont partis si brusquement qu’ils ont abandonné leur salaire du mois ; aucun n’est resté plus de huit semaines.

— Et les autres maîtres ?

— Il n’y a à demeure qu’un autre maître, et celui-là semble ne pas changer. Vous comprendrez, M. Weld, poursuivit mon interlocuteur, fermant son registre pour clore l’entretien, que des changements si rapides peuvent faire l’affaire d’une agence, non pas celle d’un professeur. J’ignore pourquoi ces messieurs ont tous résigné si vite leurs fonctions. Je ne puis qu’énoncer les faits, et vous conseiller de voir tout de suite le docteur Mc Carthy. Vous conclurez par vous-même. »

On est très fort quand on n’a rien à perdre ; et ce fut dans un état de parfaite sérénité, mais aussi de curiosité très vive, que j’allai, dès l’après-midi, me suspendre à la lourde cloche en fer forgé de l’Institution de Willow Lea House. Massif, carré, sans élégance, le bâtiment s’élevait au centre de vastes terrains et se reliait à la route par une grande avenue en ligne courbe. La hauteur qu’il occupait commandait, d’une part, les toits gris et les clochers qui hérissent le nord de Londres ; de l’autre, la belle campagne boisée qui encadre la grande cité. Un gamin en livrée m’ouvrit la porte et m’introduisit dans un cabinet bien meublé, où me rejoignit à l’instant le principal du collège.

Après ce que l’agent m’avait laissé entendre je pensais affronter un person-