Page:Doyle - La Main brune.djvu/75

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Moussa, répondit mon hôte. Mais je ne me sens pas très bien cette nuit et je préférerais vous savoir dans l’île. »

Je connus sur la figure de l’Africain le combat que se livraient en lui la peur et le devoir.

« Non, non, Massa Walker, cria-t-il enfin. Vous faire mieux m’accompagner sur ponton, Sir. Moi vous garder beaucoup mieux sur ponton, Sir.

— Impossible. Les blancs n’abandonnent pas leur poste. »

De nouveau, je vis le terrible conflit intérieur se manifester sur la face du nègre et, de nouveau, la peur fut la plus forte.

« Ça inutile, Massa Walker. Pardon. Moi pas pouvoir faire ça. Hier, oui… ou demain… Mais aujourd’hui troisième nuit… Moi pas courage. »

Walker haussa les épaules :

« Filez donc tout de suite ! Au premier bateau qui viendra, vous pouvez repartir pour Sierra-Leone. Je ne veux pas d’un serviteur qui me lâche quand il me serait le plus utile. Capitaine Meldrum, tout ceci est pour vous une énigme, je présume… à moins que vous ne sachiez par le docteur…

— J’ai montré l’atelier au capitaine Meldrum, mais ne lui ai rien raconté, dit le docteur Séverall. Vous paraissez malade, Walker, ajouta-t-il, examinant son compagnon. Sans doute un accès de fièvre.

— Oui, j’ai eu des frissons toute la journée, et je me sens le poids d’un boulet sur les épaules. J’ai pris dix grains de quinine. Les oreilles me chantent comme une bouilloire. Mais je tiens à passer la nuit avec vous dans l’atelier.

— Mon cher, je ne l’entends pas ainsi. Vous allez vous coucher dare-dare. Meldrum vous excusera. Je dormirai dans la tonnellerie et je serai là pour vous donner votre remède avant le premier déjeuner. »

Évidemment, Walker venait d’être pris d’un de ces accès de fièvre intermittente, brusques et brûlants, qui sont les fléaux de la Côte Occidentale. Ses joues blafardes devenaient rouges, ses prunelles brillantes, et, tout à coup, de cette voix aiguë qu’on a dans le délire, il se mit à geindre une chanson.

« Venez, mon vieux, nous allons vous coucher, » dit le docteur.

Tous deux, nous conduisîmes Walker dans sa chambre, nous le déshabillâmes, et, sitôt que nous lui eûmes administré un calmant énergique, il tomba dans un profond sommeil.

« Le voilà réglé pour la nuit, dit le docteur, quand nous eûmes regagné nos places et rempli nos verres. C’est tantôt mon tour et tantôt le sien. Par bonheur, nous n’avons jamais été malades ensemble. J’aurais regretté que cela m’arrivât aujourd’hui, car il faut que je vienne à bout d’un petit problème. Vous savez que je me propose de dormir dans la tonnellerie.

— En effet.

— Quand je dis dormir, c’est veiller que je veux dire, car je ne dormirai pas. Il règne ici une telle frayeur que pas un indigène ne tient en place après le coucher du soleil, et je prétends cette nuit en découvrir la cause. Habituellement, un gardien indigène couche toutes les nuits dans la tonnellerie pour empêcher qu’on ne vole les cercles de barriques. Eh bien, il y a six jours, le gardien de service disparut sans laisser de traces : événement singulier, car il ne manquait pas un canot, et ces eaux fourmillent trop de crocodiles pour qu’on s’y risque à la nage. Ce que devint

il se dressa d’un bond… (p. 78.)