Page:Doyle - La Main brune.djvu/78

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

c’était qu’ils eussent disparu. Pourquoi ? et qu’étaient-ils devenus ? On n’avait pas à cet égard le plus petit indice. Et à cette même place d’où ils avaient disparu, nous étions, nous, en train d’attendre, d’attendre sans aucune idée de ce que nous attendions. J’avais raison de dire que c’était de quoi occuper plus d’un homme. À deux, l’attente me paraissait déjà pénible ; seul, aucune force humaine ne m’eût retenu là.

L’ennuyeuse, l’interminable nuit ! Nous entendions au dehors gargouiller le fleuve et gémir le vent. Une fois, le cœur me sursauta quand Séverall, ayant tout d’un coup laissé choir son livre, se dressa d’un bond, les yeux sur l’une des fenêtres.

« Vous avez vu quelque chose, Meldrum ?

— Non. Et vous ?

— J’ai eu la vague impression d’un mouvement dehors, près de cette fenêtre. »

Il s’approcha, son fusil à la main.

« Je ne vois rien, fit-il. Et pourtant, j’aurais juré que j’entendais passer lentement quelque chose. »

Il se rassit, reprit son livre ; mais, continuellement, ses yeux se relevaient, jetant vers la fenêtre de petits regards soupçonneux. Moi aussi je me tenais sur le qui-vive ; mais tout était tranquille au dehors.

L’explosion de la tempête changea subitement le cours de nos pensées. Il y eut un éclair dont nous restâmes éblouis, suivi d’un coup de tonnerre qui fit trembler l’atelier. On eût dit qu’une monstrueuse artillerie grondait en vomissant des flammes. Et la pluie tropicale s’abattit enfin, grésillante, sur le toit de tôle ondulée. La grande salle creuse sonnait comme un tambour ; du fond des ténèbres montait un concert d’étranges bruits : gargouillement, éclabousseraient, bouillonnement, crépitement, égouttement, tous les bruits liquides que la nature peut produire, depuis le claquement de la pluie jusqu’au mugissement profond et régulier du fleuve.

« Ma parole, dit Séverall, nous allons avoir la pire des inondations. Mais Dieu soit loué ! voici l’aube. Nous aurons au moins discrédité cette absurde fable de la troisième nuit ! »

Une lumière grise se coula furtivement dans la pièce, et, presque à la minute, le jour se fit. La pluie avait diminué de violence ; mais le fleuve précipitait en cascade ses eaux noirâtres. Je conçus des craintes pour l’ancre du Gamecock.

« Il faut que j’aille à bord, dis-je. Si le navire chasse sur son ancre, jamais il ne remontera le fleuve.

— L’île vaut une digue, répondit le docteur. Je puis vous offrir une tasse de café si vous voulez venir jusqu’à la maison. »

Transi de froid, lamentable, j’acceptai cette offre avec reconnaissance. Nous quittâmes, sans avoir rien élucidé, l’atelier sinistre, et, sous la pluie, nous reprîmes le chemin de l’habitation.

« Voici la lampe à alcool, dit Séverall. Faites-moi le plaisir de l’allumer, je vais voir comment va Walker. »

Il me quitta, mais pour revenir presque aussitôt, le visage chaviré par l’épouvante.

« C’est fait de lui ! » cria-t-il d’une voix rauque.

Un frisson d’horreur me traversa. Debout, ma lampe à la main, les yeux écarquillés, je regardais le docteur.

« Oui, c’est fait de lui ! répéta-t-il. Venez voir ! »

Je le suivis, et, dès que j’entrai dans la chambre, j’aperçus Walker, étendu, bras de ci, jambes de là, tout en travers de son lit, dans le vêtement de flanelle grise que j’avais aidé à lui mettre la veille.

« Mais il n’est pas mort ? » haletai-je.

Une terrible émotion secouait le docteur. Ses mains tremblaient.

« Mort, depuis plusieurs heures.

— De la fièvre ?

— De la fièvre ? Regardez ses pieds. »

Je regardai. Un cri m’échappa. L’un des pieds non seulement était disloqué, mais encore se retournait complètement sur lui-même, dans une contorsion grotesque.

« Dieu juste ! m’écriai-je, qui a pu commettre un tel crime ? »

Séverall étendit la main sur la poitrine du cadavre.

« Tâtez ici », murmura-t-il.

Je touchai la poitrine. Elle n’offrait pas de résistance. Tout le corps, mou et flasque, cédait à la pression comme une poupée de son.

« Le thorax est défoncé, réduit en