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UN CAS D’IDENTITÉ          31

— Le problème est banal, observa Holmes, mais la jeune personne est intéressante à étudier. J’ai déjà vu des cas semblables ; mon recueil fait mention d’une circonstance analogue à Andover en 77. L’année dernière même, à La Haye, il s’est passé une chose similaire, et, quelque ancienne que soit la ruse, j’ai noté ici cependant deux détails absolument inédits. Mais la jeune fille à elle seule est une étude.

— Vous avez alors découvert en elle ce qui est resté absolument caché pour moi.

— C’est que, voyez-vous, Watson, vous ne savez pas observer, ni même regarder, et tout ce qui a quelque importance vous échappe. Je n’ai pas encore réussi à vous faire comprendre tout ce que peut révéler une manche ! à quel point peut être suggestif un ongle ou un pouce, ou les conséquences qu’on peut tirer d’un lacet de bottine. Dites-moi votre opinion sur cette femme d’après son extérieur. Décrivez ses vêtements.

— Eh bien ! elle avait un chapeau de paille à larges bords, couleur ardoise, orné d’une plume rouge brique ; une jaquette noire brodée de perles de jais et agrémentée d’une frange de même espèce ; une robe d’un brun très froncé garnie au col et aux manches de peluche pourpre. Elle portait des gants gris usés à l’index. J’ai omis de regarder ses bottines. Enfin elle avait de petites boucles d’oreilles à pendeloques, et m’a donné l’impression d’une personne fort à son aise dans le milieu peu élégant auquel elle appartient.

Sherlock Holmes applaudit discrètement et ne put s’empêcher de sourire.

— Ma parole, Watson, vous faites des progrès. Votre description est très exacte. Il est vrai que vous avez omis tout ce qui était important, mais vous avez compris la méthode et vous voyez juste quant aux couleurs. Ne vous fiez jamais aux impressions générales, mon garçon, mais consacrez toute votre attention aux détails. Chez une femme, je regarde toujours les manches d’abord. Chez un homme, je regarde de préférence le pantalon aux genoux. Comme vous l’avez observé, cette femme avait de la peluche à sa manche ; c’est, comme vous le savez, l’étoffe qui se frappe le plus facilement. Or au-dessus du poignet, il y avait sur la peluche la double ligne qui se forme lorsque, écrivant à la machine, on appuie la main sur la table. La même marque existe sur la manche des personnes qui

[Illustration de G. da Fonseca]
il m’avait fait jurer de lui rester fidèle.

cousent à la machine à main ; mais alors le bras gauche seul est marqué, et encore, du côté opposé au pouce, au lieu de l’être sur toute la largeur du poignet comme chez miss Sutherland. De plus, en regardant attentivement son visage, je remarquai sur le nez l’empreinte d’un binocle ; cette observation jointe à l’autre me permit, au grand étonnement de la demoiselle, de lui parler de sa myopie et de l’écriture à la machine.