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LE MYSTÈRE DE LA VALLÉE DE BOSCOMBE          41

charges aussi graves est tout au moins suspecte.

— Tout au contraire, dit Holmes, c’est une éclaircie, et la seule peut-être, dans un ciel chargé de nuages. Quelque innocent qu’il soit, il n’est pas assez idiot pour ne pas s’apercevoir que tout est contre lui. S’il avait paru surpris de son arrestation ou s’il avait feint l’indignation, cela m’aurait donné des soupçons, parce que la surprise ou la colère qui n’auraient pas été naturelles dans ces circonstances, auraient peut-être semblé être de bonne politique au coupable. La manière franche dont notre homme a accepté la situation est pour moi l’indice ou de son innocence absolue ou d’une grande force de caractère. Il est tout simple aussi qu’il ait dit n’avoir que ce qu’il méritait puisqu’il a été trouvé près du cadavre de son père ; il est de plus absolument certain que ce jour-là même il avait oublié ses devoirs filiaux au point d’insulter son père et même, si nous en croyons le témoignage si important de la fillette, jusqu’à lever la main pour le frapper. Le reproche qu’il semble se faire à lui-même et ses regrets, sont pour moi plutôt la preuve d’une conscience innocente que d’une conscience coupable.

Je secouai la tête :

— Bien des hommes ont été pendus sur des charges moins sérieuses, répondis-je.

— Assurément. Et beaucoup l’ont été aussi à tort.

— Quel est le récit du jeune homme lui-même ?

— Je crains qu’il ne soit guère encourageant pour ses défenseurs, quoique j’y trouve un ou deux détails plutôt suggestifs. Vous les lirez ici, si vous voulez en prendre la peine.

Il tira de son monceau de paperasses un exemplaire du journal de la localité et mit le doigt sur le paragraphe qui avait trait à la déposition du malheureux inculpé. Je m’installai confortablement dans un coin du compartiment et lus le récit suivant :

« Alors M. James Mac Carthy, le fils unique de la victime, fut interrogé et fit la déposition suivante : « J’étais allé à Bristol et j’étais resté absent trois jours. Je ne rentrai que le lundi 3, dans la matinée. Mon père ne se trouvait pas à la maison lorsque j’y arrivai et la servante, me dit qu’il était parti en voiture pour Ross, accompagné du groom. Peu de temps après j’entendis le roulement de sa voiture et, m’étant approché de la fenêtre, je l’en vis descendre et s’éloigner rapidement, sans que je pusse me rendre compte de la direction qu’il avait prise une fois sorti de la cour. Je m’armai de mon fusil et j’allai me promener du côté de l’étang de Boscombe pour voir la garenne qui se trouve de l’autre côté. Sur la route je croisai William Crowder ; celui-ci l’a du reste déclaré dans sa déposition ; mais j’affirme qu’il se trompe en supposant que j’ai suivi mon père. Je ne me doutais pas qu’il fût un peu plus loin en avant de moi. À cent mètres environ de l’étang, j’entendis un cri de « Couhi », signal habituel entre mon père et moi. Je hâtai le pas et le trouvai au bord de l’étang. Il parut très étonné de me voir et me demanda assez brusquement ce que je faisais là. Il en résulta une discussion qui se termina par des paroles injurieuses et presque par des coups, car mon père était d’un caractère très violent. Voyant qu’il en était arrivé au paroxysme de la colère, je le quittai et me dirigeai vers la ferme de Hatherley. Je n’avais pas parcouru plus de cent cinquante mètres qu’un horrible cri, derrière moi, me fit revenir sur mes pas en courant. Je trouvai mon père étendu sur le sol expirant et portant à la tête une terrible blessure. Je lâchai mon fusil et je le soutins dans mes bras ; mais il expira presque au moment même. Je m’agenouillai quelques instants auprès de lui et puis je courus chercher du secours chez le portier de M. Turner, qui habitait la maison la plus rapprochée de cet endroit. Je n’avais vu personne près de mon père et je ne sais à quoi attribuer ses blessures et sa mort. Il n’était pas populaire dans le pays à cause de son extérieur froid et peu sympathique, mais je ne lui connaissais aucun ennemi. Je ne sais pas autre chose.

« Le coroner. — Votre père n’a-t-il