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avoir cité un type merveilleusement dépeint par Tolstoï : celui des officiers avides d’avancement et qui sont à l’affût des voies les plus courtes et les plus faciles pour y arriver. Boris Droubetskoï et Berg sont deux échantillons de ce genre, bien entendu avec les nuances que comportent leurs aptitudes et leur caractère national. Bien fine la remarque du premier que « dans l’armée il n’y a pas seulement la subordination et la discipline qui sont écrites dans le règlement, et que lui-même connaît du reste comme les autres, mais encore une subordination plus essentielle, celle qui a obligé le général à attendre respectueusement, lorsque le prince André, un simple capitaine, a préféré causer avec le sous-lieutenant Droubetskoï. » Et avec quelle prompte, inébranlable et louable résolution Boris déclare vouloir se conformer désormais à cette subordination qui n’est écrite nulle part, et non à celle qui est inscrite dans le règlement.

Il n’y a malheureusement point d’armée au monde, du moins à l’heure actuelle, où cette subordination parasite ne soit en pratique, et il se passera encore bien du temps avant qu’elle ne soit déracinée, si l’on n’arrive jamais à l’extirper.

Berg, certainement, ne s’élève pas à des cimes aussi hautes. C’est un esprit qui ne plane pas ; mais à quoi bon, du moment où il a un truc, moins raffiné peut-être, et dont l’effet n’est pas aussi prompt sans doute, mais en tout cas infaillible aussi. Ce truc consiste à ne jamais perdre la carte, c’est-à-dire à rester coi devant ses chefs, quelque furieusement qu’ils tempêtent, quelque obstinément qu’ils posent des questions qui semblent provoquer une justification.

« Vous êtes donc sourd ! », rugit-il. Je ne bronchai pas. Eh bien ! imaginez-vous, Comte, le lendemain il n’en était pas question dans l’ordre. Voilà ce que c’est que de ne pas perdre la carte »

Impossible de ne pas aller loin, jeune homme, quand on a cette perspicacité et cet aplomb, même lorsque l’on ne serait pas ambitieux. Car vous voyez trop clairement, vous saisissez trop bien ce qui fait les avancements rapides.

Les scènes de guerre, chez Tolstoï, ne sont pas moins instructives : tout le côté intime du combat, pays inconnu à la plupart des théoriciens militaires et des praticiens de temps de paix, mais dont dépend pourtant le succès ou la défaite, est mis en