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C’est ce que continuent deux passages de la IVe partie de Guerre et Paix, où le prince André expose ses idées sur la guerre. Le premier se rapporte aux réflexions du prince André à propos du conseil de guerre, qui décide de l’abandon du camp de Driasa ; le second, c’est sa conversation avec le comte Pierre sur le champ de bataille de Borodino.

« Les débats durèrent longtemps, et plus ils se prolongeaient, plus s’échauffaient les discussions, qui en arrivaient aux cris et aux personnalités, et moins il devenait possible de tirer une conclusion générale quelconque de tout ce qui s’était dit. En écoutant le ramage de toutes ces langues en mouvement, toutes ces propositions, ces plans, ces réfutations et ces cris, le prince André ne fut étonné que d’une chose, c’est de ce qu’ils disaient tous. Du temps de son activité guerrière, il lui était venu souvent et depuis longtemps à l’idée qu’il n’y a et ne peut y avoir de science de la guerre et par conséquent (?) qu’il ne peut y avoir de génie de la guerre. Maintenant ces pensées prirent pour lui toute l’évidence de la vérité, d’un axiome. Quelle théorie, quelle science peut-il y avoir là où les conditions et les circonstances sont inconnues et ne peuvent être déterminées, là où la force des exécutants ne supporte encore bien moins aucune détermination ? Nul ne peut savoir et ne peut apprendre quelle sera la situation de notre armée et celle de l’armée ennemie dans un jour, et nul ne peut connaître la force réelle de tel ou tel détachement. Parfois, quand il n’y a pas de lâche en avant pour crier : « Nous sommes coupés » et se sauver, quand, au contraire, il y a en tête un homme gaillard et hardi qui crie : « Hourra ! », une troupe de 5,000 hommes en vaut 30,000, comme à Schœngraben. Mais parfois aussi 50,000 hommes fuient devant 8,000, comme à Austerlitz. Quelle science peut-il donc y avoir dans une affaire où, comme dans toute affaire pratique, rien ne peut être déterminé et où tout dépend de conditions innombrables, dont l’importance ne se détermine qu’à un moment donné, mais dont personne n’est en état de fixer la date. Armfeldt dit que notre armée est coupée, tandis que Paulucci soutient que nous avons mis l’armée française entre deux feux. Michaud affirme que le camp de Drissa est défectueux parce qu’il est en avant du fleuve, et Phull prétend au contraire, que c’est ce qui fait sa force. Toll propose un plan, Armfeldt en présente un autre, etc. Et tous ces plans sont bons,