Page:Dragomirov - Guerre et paix de Tolstoï au point de vue militaire.djvu/98

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 94 —

prendre le Principe suprême une fois qu’ils l’avaient baptisé du nom de Jupiter, de Vénus, de Mercure, etc., tandis que les derniers reconnaissent en toute sincérité que ce principe est inaccessible à l’homme et ne s’amusant pas à dépenser leurs forces pour pérorer sur une chose qui est hors de leur atteinte.

Ce manque d’enthousiasme à s’occuper de ce qui dépasse les forces humaines est considéré par Tolstoï comme une négation, et il se met à taper sur les historiens modernes sous prétexte que leurs explications des événements ne tiennent pas debout, — au point de vue de son idéal bien entendu ; — tout cela pour aboutir à la cause de toutes les causes, que tout le monde sous-entend sans la comprendre et qui n’avance pas d’un cheveu la solution des problèmes de l’histoire.

Le but de cette manœuvre est évident. C’est l’inconsistance manifeste de sa manière d’envisager les causes prochaines des événements qui l’incite à se réfugier dans la citadelle des causes premières, d’où tout lui paraît, — comme lorsqu’on se place au point de vue de l’éternité, — infiniment petit : l’étude la plus approfondie des faits, comme la plus superficielle ; une tirade de mots aussi bien qu’une production de génie. Au quatrième tome il n’y avait « pas de cause du tout ». Au cinquième et au sixième la cause est trouvée, mais elle est inaccessible à l’intelligence humaine ; auprès d’elle toutes les autres causes bien entendu sont également absurdes et également valables ; auprès d’elle aussi Napoléon ne s’élève pas au-dessus du dernier de ses soldats, que dis-je ! un peuple entier, la terre elle-même ne sont rien.

Il n’y a qu’un malheur. C’est que, si cette cause est inaccessible à l’intelligence humaine, pourquoi l’auteur s’en préoccupe-t-il ? En somme, il ne sait d’elle rien de plus que les historiens auxquels il vient de mettre le nez dans la poussière, c’est-à-dire au fond rien du tout, absolument rien. À moins qu’il ne prétende peut-être à une révélation spéciale du ciel en sa faveur…

À quoi servirait qu’un métaphysicien vint nous dire qu’il n’y a qu’un mode de locomotion parfait, celui du tapis enchanté des « Mille et une Nuits », et qu’il partit de là pour faire le procès des voitures, des chemins de fer, des bateaux à vapeur dont nous disposons ? Cela n’empêcherait pas ces véhicules de continuer leur petit bonhomme de chemin, de rouler, de voguer comme si