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LETTRES D’UN INNOCENT

Je t’embrasse de tout cœur.

Ton dévoué,

Alfred.

J’espère recevoir de tes nouvelles dans quelques jours.

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Le 2 Août 1895.
Ma chère Lucie,

Le courrier venant de Cayenne est arrivé hier. J’espérais recevoir tes lettres, comme le mois dernier. Cet espoir a été déçu.

Que te dirai-je, ma chère et bonne Lucie, que je ne t’aie déjà dit et répété bien des fois ? Si j’ai subi le plus effroyable des supplices, si j’ai supporté aujourd’hui une situation morale dont tous les instants sont pour moi autant de blessures, c’est qu’innocent de cette horrible forfaiture, je veux mon honneur, l’honneur du nom que portent nos chers enfants.

Seul au monde, j’eusse probablement agi différemment, ne pouvant moi-même me faire rendre mon honneur. Oh ! dans ce cas, je te jure bien que j’aurais eu le secret de cette machination infernale, j’eusse laissé à l’avenir le soin de réhabiliter ma mémoire. Si incompréhensible que soit pour moi ce drame, tout finit par se découvrir, même naturellement.

Mais il y avait toi, il y a nos enfants, qui portez mon nom ; il y a ma famille, enfin. Il me fallait vivre, réclamer mon honneur, te soutenir de ma présence, de toute l’ardeur de mon âme, car, et ceci prime