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LETTRES D’UN INNOCENT

ments où le cœur trop gonflé déborde, je relis toutes tes chères lettres, et je pleure avec toi, car je ne crois pas que deux êtres qui placent l’honneur au-dessus de tout, et avec eux leurs familles, aient jamais subi un martyre plus grand que le nôtre.

Je souffre et je n’en ai pas honte, comme toi, comme vous tous d’ailleurs. Mon cœur, nuit et jour, demande son honneur, le tien, celui de nos enfants. Une situation pareille est tragique et le supplice devient trop grand pour tous.

Les uns ou les autres finiront par y succomber, pour peu que cela dure. Eh bien ! ma chère Lucie, cela ne doit pas être. Il nous faut d’abord notre honneur, celui de nos enfants. On ne se laisse pas accabler par un destin aussi infâme quand on ne l’a pas mérité.

Si naturels, si légitimes que soient les cris de douleur d’âmes qui souffrent au delà du vraisemblable, gémir, ma chère Lucie, ne sert à rien. Si, lorsque tu recevras cette lettre, la situation n’est pas éclaircie, je pense qu’il sera temps, avec le courage, l’énergie que donne le devoir, avec la force invincible que donne l’innocence, que tu fasses des démarches personnelles pour qu’on répande enfin la lumière sur cette tragique histoire. Tu n’as à demander ni grâce ni faveur, mais la recherche de la vérité, du misérable qui a écrit cette lettre infâme, justice pour nous tous, enfin ! Tu trouveras, d’ailleurs, dans ton cœur des paroles plus éloquentes que celles qu’une simple lettre pourrait contenir. Il faut, en un mot, avoir enfin l’énigme de ce drame, par quelque moyen que ce soit. Tes qualités d’épouse et de mère te donnent tous les droits et doivent te donner tous les courages.