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LE CAPITAINE DREYFUS

rais à m’envoyer, chaque mois directement, des livres et des revues. Pense à mon tête à tête perpétuel avec moi-même, plus silencieux qu’un trappiste, dans l’isolement le plus profond, en proie à mes tristes pensées, sur un rocher perdu, ne me soutenant que par la force du devoir.

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Le 4 octobre 1895.
Ma chère Lucie,

Je viens de recevoir tes chères lettres du mois d’août, si impatiemment attendues chaque mois, ainsi que toutes celles de la famille.

Écris-moi toujours longuement. J’éprouve une joie enfantine à te lire, car il me semble ainsi t’entendre causer, sentir ton cœur battre près du mien.

Quand tu souffriras trop, prends la plume et viens causer avec moi.

Merci des bonnes nouvelles que tu me donnes des enfants. Embrasse-les longuement de ma part.

Mon corps, chère Lucie, est indifférent à tout, mû par une force presque surhumaine, par une puissance supérieure : le souci de notre honneur.

C’est le devoir sacré que j’ai à remplir vis-à-vis de toi, de nos enfants, des miens, qui remplit mon âme, qui la gouverne et qui fait taire mon cœur ulcéré… Autrement le fardeau serait trop lourd pour des épaules humaines.

Assez gémi, chère Lucie, cela n’avance à rien. Il faut que ce supplice épouvantable de tous finisse. Fort de mon innocence, marche droit à ton but, silencieusement, sans bruit, mais franchement et énergiquement, dusses-tu porter la question