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LETTRES D’UN INNOCENT

causent ; j’ai pu pleurer, et c’est tout dire. Comme tu le ressens toi-même, malgré soi le cerveau ne cesse de travailler, la tête et le cœur de souffrir, et ces tortures ne cesseront que lorsque la lumière sera faite, lorsque cet horrible drame sera éclairci.

Je t’ai trop parlé de moi et de mes souffrances, pardonne-moi cette faiblesse.

Quelles que soient mes souffrances, ah ! si terrible que soit notre martyre, il y a un but qu’il faut atteindre, que vous atteindrez, j’en suis sûr : la lumière pleine et entière, telle qu’il la faut pour tous, pour notre nom, pour nos chers enfants. Je souhaite ardemment, pour toi comme pour moi, d’apprendre bientôt que ce but est enfin atteint.

Je n’ai pas non plus de conseils à te donner ; je ne puis qu’approuver entièrement ce que vous faites pour arriver à l’éclatante démonstration de mon innocence. C’est là le but et il ne faut voir que lui.

J’ai reçu les quelques mots de Mathieu, dis-lui que je suis toujours de cœur et d’âme avec lui.

Le 23 février, c’était l’anniversaire de la naissance de notre chère petite Jeanne… combien j’ai pensé à elle ! Je ne veux pas insister, car mon cœur éclaterait et j’ai besoin de toutes mes forces.

Écris-moi longuement, parle-moi beaucoup de toi et de nos chers enfants. Je te lis et relis chaque jour ; il me semble entendre ainsi ta voix aimée, et cela m’aide à vivre.

Je ne t’écris pas davantage, car je ne pourrais que te parler de l’horrible longueur des heures, de la tristesse des choses… et gémir est bien inutile.

Embrasse bien tes chers parents, tous les nôtres