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LETTRES D’UN INNOCENT

aura cinq ans : dis-toi que ce jour-là tout mon cœur, toutes mes pensées, mes pleurs, hélas, aussi, auront été vers lui, vers toi. Et je termine en souhaitant que tu puisses bientôt m’annoncer la fin de cet infernal supplice et en t’embrassant de tout mon cœur, de toutes mes forces, comme je t’aime.

Ton dévoué,

Alfred.
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Le 5 avril 1896.
Ma chère Lucie,

Je viens de recevoir à l’instant tes chères lettres de février, ainsi que toutes celles de la famille. À ton tour, ma femme chérie, tu as subi les atroces angoisses de l’attente de nouvelles !… J’ai connu ces angoisses, j’en ai connu bien d’autres, j’ai vu bien des choses décevantes pour la conscience humaine… Eh bien ! je viens te dire encore, qu’importe ! Tes enfants sont là, vivants. Nous leur avons donné la vie, il faut leur faire rendre l’honneur. Il faut marcher au but, les yeux uniquement fixés sur lui, avec une volonté indomptable, avec le courage que donne le sentiment d’une nécessité absolue.

Je te disais dans une de mes lettres que chaque journée ramenait avec elle les angoisses de l’agonie. C’est bien vrai. Quand arrive le soir, après une lutte de tous les instants contre les bouillonnements de mon cerveau, contre la déroute de ma raison, contre les révoltes de mon cœur, j’ai une dépression cérébrale et nerveuse terrible et je voudrais fermer les yeux pour ne plus penser, pour ne plus voir, pour