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LE CAPITAINE DREYFUS

le devoir de faire appel aussi aux forces dont dispose le Gouvernement pour mettre le plus tôt possible un terme à cet effroyable martyre, auquel nul être humain ayant un cœur, un cerveau, ne saurait résister indéfiniment.

Et je voudrais résumer ma pensée en quelques mots… Mais hélas ! ce que je supporte depuis si longtemps, dans l’attente, toujours renouvelée en vain, d’un meilleur lendemain, finit par excéder les limites des forces humaines.

Et alors, ce que tu as à demander, ce qu’on doit certes comprendre, c’est parce que les forces humaines ont des limites, c’est parce que la seule chose que je demande à ma patrie, c’est la découverte de la vérité, la pleine lumière, voir encore pour mes chers petits le jour où l’honneur leur sera rendu, ce que tu as à demander, dis-je, c’est qu’on mette tout en œuvre pour hâter le moment où ce but sera atteint ; j’ai l’absolue conviction qu’on t’écoutera, que les cœurs s’émouvront devant notre douleur immense, devant ce vœu d’un Français, d’un père.

Quoiqu’il en soit de moi, je veux donc te répéter de toutes les forces de mon âme, courage et foi, te redire encore que ma pensée ne te quitte pas un seul instant, ainsi que mes chers enfants, c’est ce qui me donne la force de vivre ces longues et atroces journées, t’embrasser de tout mon cœur, de toutes mes forces, comme je t’aime, ainsi que nos chers et adorés enfants, en attendant tes chères lettres, seul rayon de bonheur qui vienne réchauffer mon cœur meurtri et broyé.

Ton dévoué

Alfred.
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