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APPENDICE

sation particulière du Ministre de la guerre, pour l’interroger.

Avant de voir Dreyfus, il me demanda s’il ne pouvait pas pénétrer sans bruit dans sa cellule, porteur d’une lampe assez puissante pour pouvoir projeter un flot de lumière au visage du capitaine, qu’il voulait surprendre de façon à le démonter. Je répondis que ce n’était pas possible.

Il lui fit subir deux interrogatoires et lui dicta, chaque fois, des fractions de phrases puisées dans le document incriminé, dans le but d’établir la comparaison entre les écritures.

Pendant cette période de temps, la surexcitation du capitaine Dreyfus était toujours très grande. Du corridor, on l’entendait gémir, crier, parlant à haute voix, protestant de son innocence. Il se butait contre les meubles, contre les murs, et il paraissait inconscient des meurtrissures qu’il se faisait.

Il n’eut pas un instant de repos, et lorsque, terrassé par les souffrances, la fatigue, il se jetait tout habillé sur le lit, son sommeil était hanté par d’horribles cauchemars.

Il avait des soubresauts tels qu’il lui est arrivé de tomber du lit.

Pendant ces neuf jours d’une véritable agonie, il ne prit que du bouillon et du vin sucré, ne touchant à aucun aliment.

Le 24 au matin, son état mental, voisin de la folie, me parut tellement grave que, soucieux de mettre ma responsabilité à couvert, j’en rendis compte directement au Ministre ainsi qu’au Gouverneur de Paris.