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APPENDICE

reçu l’ordre formel d’assister à tous ses repas que je devais étroitement surveiller, afin qu’aucun écrit du dehors ne pût lui parvenir dissimulé dans les aliments.

Depuis de si longues années que, par un choix qui m’a honoré, et quoique déjà retraité, je suis resté à la tête de divers établissements pénitentiaires, j’ai acquis une grande expérience des prisonniers, et je ne crains pas de dire et de déclarer hautement qu’une erreur terrible a été commise. Aussi n’ai-je jamais considéré le capitaine Dreyfus comme un traître à sa patrie, à son uniforme.

Dès les premiers jours, mes chefs directs et autres connurent mon opinion. Je l’ai affirmée en présence de hauts fonctionnaires et personnages politiques, ainsi qu’à de nombreux officiers de tous grades, journalistes et hommes de lettres.

Je dirai mieux. Le gouvernement connaissait également mon opinion, car la veille de la dégradation, un chef de bureau du ministère de l’intérieur vint de la part de son ministre, M. Dupuy, me demander quelques renseignements sur Dreyfus. Je lui répondis dans le même sens.

Ce fonctionnaire n’a pas été sans le répéter à ses chefs. Or, je déclare que jusqu’au 5 novembre dernier, je n’avais jamais reçu d’aucun de mes chefs ni la moindre observation, ni l’ordre d’avoir à me taire, et que j’ai toujours continué à proclamer l’innocence de Dreyfus, qui est la victime d’une de ces fatalités du sort qui sont inexplicables et impénétrables, ou d’une machination insondable, ourdie à dessein.

Je dirai aussi que si Dreyfus ne s’est pas tué, ce