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LE CAPITAINE DREYFUS

effet, terrible de souffrir comme moi, depuis tantôt trois mois, pour un crime dont je suis innocent. Mon cerveau, après toutes ces secousses, a de vrais moments d’égarement.

J’espérais voir Me Demange ce soir et le prier de faire auprès de qui de droit, et dans les conditions que je voulais lui indiquer, les démarches nécessaires pour que je sois envoyé en exil avec toi, en attendant que la lumière se fasse. À ce dernier point de vue, j’ai grand espoir ; tous mes efforts ne peuvent qu’aboutir ; mais il me faudrait de l’air, un grand travail physique, ta société chérie pour rétablir mon cerveau ébranlé par tant de secousses, auxquelles, grand Dieu ! je ne m’attendais guère.

Prie donc Me Demange, qui a obtenu l’autorisation de me voir, de venir le plus tôt possible, afin que je lui explique la grâce que demande un innocent, en attendant que justice entière lui soit rendue.

Tu me demandes aussi, ma chérie, ce que je fais du matin au soir, et du soir au matin. Je ne veux pas te communiquer mes tristes réflexions, ta douleur est déjà assez grande, et il est inutile de l’augmenter encore. Ce que je t’ai dit plus haut suffit pour te faire comprendre ce que je désire en ce moment : l’exil en plein air avec toi, en attendant la réhabilitation.

Quant au reste, je te le raconterai plus tard, quand nous serons réunis et heureux.

Je te confierai cependant une chose, c’est que dans mes plus tristes moments, dans mes moments de crise violente, une étoile vient tout à coup briller dans mon cerveau et me sourire. C’est ton image, ma chérie, c’est ton image adorée, que