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LETTRES D’UN INNOCENT

samedi dernier, j’espère que mes lettres te seront parvenues à l’heure qu’il est.

Je ne sais ni sur qui ni sur quoi fixer mes idées. Quand je regarde le passé, la colère me monte au cerveau, tant il me semble impossible que tout me soit ainsi ravi ; quand je regarde le présent, ma situation est si misérable que je pense à la mort comme à l’oubli de tout ; il n’y a que lorsque je regarde l’avenir que j’ai un moment de soulagement, car, comme je te le disais déjà plus haut, l’espoir seul me fait vivre.

Tout à l’heure, j’ai regardé pendant quelques instants le portrait de nos chers enfants ; mais je n’ai pu supporter leur vue longtemps tant les sanglots m’étreignaient la gorge. Oui, ma chérie, il faut que je vive, il faut que je supporte mon martyre jusqu’au bout pour le nom que portent ces chers petits. Il faut qu’ils apprennent un jour que ce nom est digne d’être honoré, d’être respecté, il faut qu’ils sachent que si je mets l’honneur de beaucoup de personnes au-dessous du mien, je n’en mets aucun au-dessus.

Ah ! mais il serait vraiment grand temps que cet horrible martyre que nous subissons tous prit fin. Je n’ose y penser, tout en moi se gonfle, prêt à éclater… Je t’embrasse mille et mille fois ainsi que nos bons chéris,

Alfred.
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