Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/118

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Mû par son seul instinct, sans aucun ordre, il se mit à battre le ralliement, en criant à pleins poumons :

« Gare à nous ! Par ici !… Ils arrivent !… »

Ce fut le salut.

Dix secondes plus tard, Kléber et Bernadieu étaient tués ou pris. Mis sur leur garde par l’heureuse initiative de Jean qui battait la charge à tour de bras, et rapidement soutenus par les camarades de la neuvième, ils sautèrent comme des lions sur les Hessois.

Ce fut une tuerie sauvage dans laquelle notre petit ami eut une vision rapide qui devait lui demeurer toujours présente à l’esprit : celle de La Ramée clouant, d’un coup de baïonnette, contre la porte d’une grange, un officier hessois. Dans la violence du choc, la lame se cassa net au ras du canon, et le malheureux resta là, crucifié, les bras tordus par l’agonie, râlant lamentablement pendant que le vieux troupier — sans même le regarder — courait à d’autres ennemis que maintenant il frappait à coups de crosse…

L’engagement fut du reste très court. Tout ce qui fut trouvé d’ennemis dans la rue fut tué, « nettoyé », comme le dit La Ramée en arrivant au rassemblement, aussi calme que s’il eût été à la cantine en train de fumer sa pipe.

Pour ce vieux soldat, les sauvageries, inhérentes à la guerre, semblaient une chose très simple et très naturelle.

La Ramée se battait comme il respirait. C’était sa vie ! On se reforma, et, emmenant quelques blessés, le bataillon reprit la direction de Mayence.

« Aussi bien, dit Kléber, les nôtres sont rentrés… on n’entend plus rien. »

La colonne française avait réussi effectivement à regagner la place. L’ennemi, s’étant heurté aux travaux de défense, avait fait demi-tour ; et la neuvième, lorsqu’elle rentra vers Mayence, heurta une de ses colonnes. Pendant un quart d’heure, elle dut former le carré, tout en reculant vers la ville. Enfin elle arriva à portée des retranchements, d’où partit sur l’ennemi une fusillade nourrie qui le força à abandonner définitivement la partie. La sortie était manquée, mais on avait tout de même enlevé quarante têtes de bétail.

Avant de regagner le quartier où Catherine l’attendait avec angoisse, Jean s’entendit appeler.