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À dater de ce jour, Jean accompagna son colonel dans ses tournées et devint légendaire dans tout Paris. Chacun connaissait ce petit hussard, si gentil, si bien en selle sur son poney pie à tous crins, qui escortait partout un des aides de camp de Carnot.

Du reste, s’il s’instruisait en travaillant au bureau le matin, Jean Tapin s’instruisait encore davantage dans ses promenades de l’après-midi.

Il comprenait ainsi, en les voyant exécuter, pourquoi il avait fait certaines écritures, pourquoi il recopiait certains ordres ; Bernadieu se faisait même un plaisir de donner à l’enfant toutes les explications que celui-ci provoquait par ses questions, souvent fort judicieuses.

C’est au cours de ces promenades que le petit hussard se rendit compte de la façon dont on fabrique les canons, dont on prépare la poudre, dont on monte les fusils.

À chaque pas qu’il faisait dans Paris, Jean voyait en action les éléments de la préparation à la guerre. Tout le monde s’y donnait en effet, selon ses forces et ses aptitudes.

Comme la place manquait, on avait installé, sur les berges mêmes de la Seine, des ateliers en plein air, où l’on fondait des canons, et d’autres où on les forait.

Jean apprit, en la voyant amalgamer, que la poudre est un composé de soufre, de charbon et de salpêtre.

Il vit l’organisation et la mise en marche des convois de subsistances, qui partaient pour ravitailler les armées.

Avant cette période de sa vie, Jean Tapin n’était qu’un enfant heureux de vivre, plein d’enthousiasme, avide de danger et de gloire ; maintenant, bien qu’il n’eut guère que treize ans, la réflexion lui venait ; et chaque jour lui apportait, avec une connaissance nouvelle, de la maturité et du jugement.

Or, une après-midi, Bernadieu ne l’avait pas emmené ; il y avait du travail très urgent à terminer et Jean avait dû rester au bureau.

Soudain il entendit un bruit de voix dans le vestibule. C’était une femme qui parlait au soldat de planton.

— Je t’en prie, citoyen, disait-elle, laisse-moi passer. Je veux parler au colonel Bernadieu.

— Puisque je te dis qu’il est absent, citoyenne ! répondait l’autre. Je suis forcé d’exécuter ma consigne : personne ne peut pénétrer dans les bureaux