Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/150

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— La femme insistait, mais le soldat restait inflexible, quand tout à coup la porte s’ouvrit et Jean parut.

— Ah ! maman Catherine ! s’exclama-t-il, je ne m’étais pas trompé ! c’était bien votre voix !…

Et, stupéfait de voir que le joli visage de sa mère adoptive était tout bouleversé, il poursuivit avec inquiétude :

— Mais qu’y a-t-il ? qu’est-il arrivé ?

— Ah ! mon enfant, s’écria la cantinière, un grand malheur !… Où est le colonel ? Maître Sansonneau qui est arrêté !

— Oh ! ça n’est pas possible !

— Hélas ! si ! Figure-toi…

La voix entrecoupée de sanglots, Catherine raconta :

Un homme était entré dans la boutique de la rue de la Huchette pour acheter des chandelles. Pour payer, il avait présenté un assignat. Sansonneau avait fait la grimace, et, malgré le décret du cours forcé, il avait voulu refuser le papier-monnaie.

C’était la marotte du gros marchand d’épices ! Dans son avarice, il ne pouvait arriver à comprendre que la France avait besoin de cette combinaison pour parer au manque de numéraire.

L’acheteur avait insisté ; mais Sansonneau s’était emporté, se répandant, selon son habitude, en récriminations.

— Très bien, citoyen ! lui avait répondu son interlocuteur en reprenant son assignat ; tu es un mauvais patriote ! Au revoir !

Sans plus d’explications, l’homme était sorti.

Maître Sansonneau, tout en grommelant, avait passé dans l’arrière-boutique, quand, un quart d’heure plus tard, le même homme était revenu. Mais il n’était plus seul : un commissaire des sections et six gardes nationaux en armes l’accompagnaient.

— Voilà ! s’était écrié l’acheteur en désignant Maître Sansonneau ; c’est lui, citoyens ; cet aristocrate refuse l’argent de la nation.

Ah ! ce n’avait pas été long ! Le pauvre marchand d’épices, empoigné malgré ses protestations, avait été entraîné dans la rue et emmené on ne sait où, au milieu des huées des passants.

Alors Catherine, terrifiée à la pensée du sort terrible réservé au malheureux, était accourue pour trouver Bernadieu.