Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/196

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Haradec était pêcheur, et la Révolution l’avait, lui aussi, réquisitionné pour la guerre. Depuis quatre ans, il courait sus à l’Anglais, des Indes aux Antilles ; l’Anglais était pour lui l’ennemi, l’ennemi séculaire.

— C’est leur or, disait le timonier, l’or anglais, qui solde tous ces gredins d’étrangers, allemands et autres, acharnés sur la France. Eux, pendant ce temps, ils s’emparent de nos colonies.

« Si seulement on pouvait les rencontrer, ajouta-t-il, comme une lueur de jour filtra par une écoutille jusqu’au cachot, ça serait une bonne affaire pour nous ; car, au moment du combat, il n’y a plus de fers qui tiennent : on nous libérerait tout de suite.

— Est-ce qu’on va nous laisser longtemps ici ? » fit Jean, qui, malgré lui. avait le cœur gros, car c’était sa première punition.

La réponse ne se fit pas attendre ; quelques instants après, un quartier-maître vint détacher les deux hommes et leur rendit la liberté.

Quand Jean reparut à la compagnie, le capitaine Jolibois, qui connaissait son aventure, prit un air sévère pour l’admonester. Mais on sentait qu’il y avait sous ses reproches plus d’affectueuse indulgence que de mécontentement.

« Ordre de ne plus recommencer, Tapin », conclut-il. Jean, d’ailleurs, n’en avait plus envie.

« C’est entendu, mon capitaine », répondit-il.

Mais la crânerie dont il avait fait preuve vis-à-vis d’un adversaire beaucoup plus fort que lui, augmenta encore la sympathie et l’estime que tout le monde lui portait à la 9e demi-brigade. C’était un peu comme s’il avait soutenu l’honneur du corps, et le commandant Scévola, un vieux dur à cuire qui s’y connaissait en hommes, vint lui serrer la main en lui disant : « C’est bien, ça, petit ! »

Quand on eut dépassé la Corse, la mer s’adoucit et ce fut sans haut-le-cœur que Jean vit défiler les rivages abrupts de la Sardaigne.

Les jours passaient vite d’ailleurs, car Bonaparte s’y entendait pour occuper son monde ; on ne le voyait pas, mais son action se faisait sentir partout. À bord des vaisseaux, on faisait l’exercice, et les tambours répétaient les batteries réglementaires deux fois par jour, comme dans une ville de garnison. De plus, chaque matin, tous les grenadiers étaient exercés à la manœuvre du canon, et Belle-Rose lui-même dut faire connaissance avec l’écouvillon, la gargousse et le boulet ramé ; car il s’agissait, en cas de rencontre avec