Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/259

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’ils peuvent se trouver au fond de la mer toujours en vie dans leur prison close, et devinez-vous quelle mort les attend ?

Quel autre mobile que le patriotisme, je vous le demande, pourrait provoquer de pareils sacrifices et d’aussi redoutables soumissions ?

Le combat naval dura deux heures ; puis le bruit du canon s’éteignit ; la corvette française La Sémillante, armée seulement de huit canons, avait été coulée par le Bellérophon qui en portait plus de cinquante.

Quand Jean Tapin put remonter sur le pont où apparaissaient partout des traces du combat, vergues coupées, mâts brisés, canons démontés, son cœur se serra en voyant émerger au-dessus de l’eau deux mâts portant la flamme tricolore ; des canots anglais recueillaient les nageurs épars autour de l’épave, et des blessés encombraient le gaillard d’avant.

Au moins nos deux amis avaient-ils espéré que ce terrible malheur leur amènerait quelques compagnons d’infortune ; il n’en fut rien : les prisonniers faits sur la Sémillante, au nombre de soixante-cinq, furent enfermés dans la batterie basse, et toute communication avec eux fut interdite par des factionnaires armés de piques.

Quant aux blessés, ils furent descendus dans l’entrepont, et bientôt invités à travailler aux réparations les plus urgentes, Haradec, Jean Tapin et Marius durent renoncer à entendre parler par d’autres la douce langue de leur patrie.

Le lendemain, le Bellérophon mouillait à Yanaon, port français dont l’escadre anglaise des Indes s’était emparée dès le début des hostilités, y débarquait ses prisonniers, et revenait sur Bombay pour y réparer ses avaries.

C’était là que Jean Tapin devait éprouver une des impressions les plus saisissantes de sa vie.

Les idées d’évasion l’avaient repris comme il arrivait d’ailleurs chaque fois que la terre était proche : deux fois déjà, il avait été débarqué pour aller, avec des corvées, chercher du matériel de guerre, et il se flattait de l’espoir qu’un jour il pourrait déjouer la surveillance des marins anglais et s’enfuir dans la ville. Ce qu’il deviendrait ensuite, il ne voulait pas y penser ; au besoin, il gagnerait l’intérieur ou un autre point de la côte et y attendrait une occasion de regagner la France.

Or, le deuxième jour, il débarqua de nouveau avec Haradec, pour