Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/261

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Sur ma parole. »

Les Anglais se retireront et, un instant après, Jean, sortant de son évanouissement sous les frictions énergiques qui lui étaient administrées, murmura comme sortant d’un rêve :

« Maman Catherine, Lison… Oh ! Lison !… »

Ces deux noms produisirent sur l’inconnu l’effet d’une décharge électrique ; il devint d’une pâleur mortelle, et serrant nerveusement la main du petit soldat.

« Qui êtes-vous ? qui êtes-vous ? répéta-t-il plusieurs fois d’une voix tremblante.

— Je suis Jean Cardignac, répondit l’enfant quand il fut revenu tout à fait à lui.

— Jean Cardignac ! murmura l’inconnu, comme s’il cherchait dans le lointain de ses souvenirs.

Mais ce nom ne lui rappelait rien, et à voix basse il reprit :

— Vous avez tout à l’heure prononcé deux noms… Catherine !… Lison !… Quels sont-ils ? oh ! je vous en prie, parlez ? Si vous saviez quelle émotion vous soulevez au plus profond de moi-même !

— Catherine et Lison, dit Jean Tapin ; mais ce sont les deux êtres que j’aime le plus au monde. Catherine est ma maman, et Lison, ma petite sœur…

— Votre sœur… quel âge a-t-elle ?

— Elle aura dix-huit ans aux vendanges.

— C’est bien cela, murmura l’inconnu. Et vous, quel âge avez-vous donc ?

— Moi, j’ai eu vingt ans en Nivôse.

— Vingt ans ? »

L’homme aux cheveux blancs se tut après cette exclamation qui décelait une mystérieuse angoisse ; un pli barrait son front, et sa poitrine se soulevait avec force.

— Vingt ans, reprit-il avec un silence et comme se parlant à lui-même… alors il est plus âgé que sa sœur ; donc ce n’est pas elle… Quel singulier hasard que le rapprochement de ces deux noms, pourtant !… »

Mais Jean Tapin avait recouvré sa tête et s’était soulevé sur son séant. Cette rencontre inattendue d’un Français lui avait rappelé le projet enraciné dans son esprit depuis de longs mois : son projet de fuite.