Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/262

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Et rompant la conversation, il en parla aussitôt à l’inconnu. Celui-ci l’arrêta dès les premiers mots :

« C’est impossible, fit-il ; j’ai donné ma parole et je dois vous ramener à bord avant ce soir. »

Jean n’insista pas ; il connaissait la valeur d’une parole donnée : mais tout à coup, il songea à sa lettre restée inachevée et la tirant de sa ceinture :

« Au moins, dit-il, vous ne me refuserez pas de faire parvenir cette lettre en France. Veuillez seulement me faire donner une enveloppe, une plume et de l’encre. »

Et ne trouvant rien à ajouter aux quelques mots qu’il avait écrits avec son sang à bord du Tiger, sur un vieux morceau de parchemin, il traça d’une grande écriture ces mots sur l’enveloppe.

« Au tambour-maître Belle-Rose, de la 9e brigade, ou, en son absence, à la citoyenne Catherine, chez M. Sansonneau, rue de la Huchette, Paris. »

Puis il tendit le pli à l’inconnu.

Mais à peine celui-ci eût-il jeté les yeux sur la suscription qu’un cri lui échappa, et donnant les signes d’une émotion extraordinaire :

« Cette fois, s’écria-t-il tout frémissant, il n’y a plus de doute ! Vous connaissez le tambour-maître Belle-Rose, du régiment des gardes-françaises :

— Vous voulez dire de la 9e demi-brigade, car il n’y a plus de gardes françaises.

— Je crois bien, que je le connais, le tambour-maître Marcellus !

— Marcellus !

— Oui, Belle-Rose, dit Marcellus ; vous ne lui connaissez peut-être pas ce surnom, car il ne le porte que depuis la prise de la Bastille… et vous semblez avoir quitté la France avant cette époque.

— Je l’ai quittée il y a quatorze ans…

— Oh ! alors, vous trouverez bien des changements si vous y retournez… mais j’y songe, si vous connaissez Belle-Rose, citoyen, vous connaissez Catherine et Lison. C’est donc ça que vous me demandiez, tout à l’heure » pourquoi j’avais prononcé ces deux noms ?

— Si je les connais !… fit l’inconnu d’une voix étranglée…

Et serrant les deux mains de Jean à les briser.

— Catherine est votre mère, m’avez-vous dit tout à l’heure ?

— Ma mère adoptive, oui ; car j’ai perdu ma vraie maman tout petit.

— Oh ! alors, je comprends… Et Louise aussi est votre sœur adoptive ?