Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/319

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Lorsqu’il reprit contact avec la vie extérieure, notre camarade était, vous le comprendrez, fort affaibli. Mais autour de lui des dévouements veillaient, car, indépendamment de Lisette, Catherine était arrivée, elle aussi, auprès du blessé.

La première impression de Tapin fut même gaie, en apercevant au pied de son lit Grimbalet, en tenue de conscrit. Oui, mes enfants, le commis n’avait pas attendu la conscription pour partir. Il s’était engagé, et justement à l’ancien régiment de Jean Tapin : au 9e de ligne.

Grimbalet était vraiment comique avec sa grande culotte, sa petite veste, son haut bonnet de police carré qui tranchait sur le roux de sa tignasse, coupée maintenant tout ras à l’ordonnance ; et son visage glabre, ahuri, marqué de taches de rousseur, lui donnait un air tout à fait drôle.

À parler franc, il n’était pas beau.

— Tiens ! tu es soldat, mon garçon ? demanda le blessé.

— Pour sûr, mon lieutenant. Plus souvent que j’aurais resté à Paris quand le Grand Homme part pour la guerre. Ravi de voir le sourire que sa phrase amenait sur les lèvres de Jean Tapin, Grimbalet se mit à chanter d’une voix abominablement fausse, le refrain populaire d’alors :

    Ran plan plan ! Tirelire !
Mon Dieu ! qu’nous allons rire !
    On va leur percer les flancs.
Et ran ! et ran ! et ran tan plan !

— Allons ! dit Jean ; je vois que tu as des instincts belliqueux, et je ne m’en serais jamais douté… Pourvu qu’une bombe maladroite ne t’arrange pas comme moi, ça marchera.

— Brr ! fit Grimbalet avec une grimace. M’en parlez pas, mon officier ! ça ne serait pas rigolo.

— Bah ! on en revient… Regarde-moi ! Le docteur me promet que je ne suis pas hors de service.

— Bien sûr ! Mais c’est égal, j’aimerais mieux autre chose, les galons de caporal, par exemple.

— Sapristi ! tu y penses déjà ! attends donc d’avoir été simple soldat et d’avoir vu deux ou trois batailles.