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Ils arrivaient à ce moment derrière les bâtiments, et Jean put apercevoir, à une fenêtre du premier étage, le visage terrifié de la femme enfermée.

Avec de grands gestes, elle indiquait à son mari le coin du bâtiment et cria

— Hütet euch ![1]

Jean, souriant, fit signe qu’il savait ce qui se passait, et continua d’avancer, suivi par le campagnard qui, maintenant très pâle, sentait un frisson de peur lui parcourir les reins.

Mais, arrivé au coin de la grange, Jean s’élança tout à coup en avant et déboucha dans la cour. Dans sa main droite il tenait son épée ; de la gauche, son pistolet armé.

Je ne vous dépeindrai pas, mes enfants, la stupeur des deux Prussiens.

Le simple soldat était justement en train d’égorger un coq superbe ; mais il lâcha prise en apercevant le Français, puis resta immobile, les bras ballants, bouche bée.

Le sous-officier, stupéfait, lui aussi, s’était remis plus vite.

— Forwartz ![2] hurla-t-il en tirant son sabre ; et empoignant par le bras son subordonné, il l’entraîna vers Jean Tapin.

L’homme, dompté par la discipline et le respect du grade, tira à son tour son sabre, et deux contre un, ils s’avancèrent vers l’officier français.

Le sourire aux lèvres, Jean les laissa venir, pendant qu’au coin du mur se profilait, terrifiée, la figure blême du paysan.

Mais quand les deux Prussiens furent à trois pas de lui, Jean Tapin dit simplement :

— Pfoten weg !… oder ich schiesse ![3]

Poussé par son sergent qui vociférait, le soldat s’élança, la pointe en avant… Mais un coup de pistolet éclata et le Prussien s’abattit comme une masse.

— Ah ! c’est comme ça ! s’écria Jean. On veut faire les malins ! Attendez un peu !…

Bondissant par dessus le corps de son ennemi tué, le jeune lieutenant arriva sur le sergent, l’épée haute.

Le choc des lames d’acier tinta dans l’air matinal.

  1. Prenez garde !
  2. En avant.
  3. Bas les pattes !… ou je tire !