Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/404

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Aussitôt Napoléon donna l’ordre à son aide de camp, le comte Lobau, de commander le défilé. Les Pupilles défilèrent la parade en bon ordre et correctement, en tête des régiments décimés de la Vieille Garde.

Et en voyant ses deux enfants debout, battre des mains sur leur passage, les yeux brillants, le teint animé, Lise se rappela les paroles de son mari :

« Ce sont deux soldats pour l’Empereur. »

Oui, soldats, ils l’étaient déjà : ils avaient dans le sang l’enthousiasme qui est la première initiation à la vie militaire et déjà ils justifiaient la parole du poète latin qui, parlant des nations guerrières et des morts tombés glorieusement dans les batailles, s’écrie :

Une postérité vengeresse sortira de leurs os.

La revue terminée, un aide de camp s’approcha, chapeau bas :

— C’est à madame Cardignac que j’ai l’honneur de parler ?

— Oui, capitaine.

— Je suis chargé de vous conduire auprès de Sa Majesté. Si vous voulez bien me faire l’honneur de me suivre, madame.

Derrière son guide, Lise traversa, les yeux troubles, la foule des uniformes. Qu’allait-elle encore apprendre ? Allait-elle voir se confirmer la funèbre nouvelle, et ce deuil qu’elle portait, mais sous lequel son cœur battait encore à l’espoir, ce deuil, un mot de l’Empereur allait-il le rendre définitif ?

Elle fit un violent effort pour dominer son émotion, gravit les escaliers de marbre de la salle du Trône, vit connue dans une buée tout un essaim de femmes aux robes de satin, aux turbans de mousseline brochés d’or, aux épaules couvertes de perles, de pierreries et de rubans, et soudain devint très pale en se trouvant devant le Maître.

Debout au milieu du salon. Napoléon portait la tenue de colonel des chasseurs de sa Garde, avec le grand cordon de la Légion d’honneur, et en voyant le tremblement qui s’était emparé de la jeune femme :

— Rassurez-vous, madame, dit-il avec bonté, je vous ai fait venir parce qu’un rayon d’espoir vient de luire pour vous. J’aimais beaucoup votre mari et la nouvelle de sa disparition m’avait profondément attristé. Mais, si j’en crois une lettre trouvée sur un paysan russe, arrêté à Kœnigsberg et qui m’a été transmise hier par le maréchal Davout, il a été fait prisonnier mais est en route pour revenir. J’ai tenu à vous donner moi-même cette lettre afin