Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/428

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— Dans la Méditerranée, contre l’Italie et non loin de la Corse.

Un éclair brilla dans les yeux de Jean Cardignac.

— Et il va aller seul là-bas ! s’écria-t-il, après avoir commandé à cent millions d’hommes ! et nous allons permettre cela, nous, ses compagnons d’armes ?

— Hélas ! il le faut bien : lui-même a déclaré qu’il disparaissait de la scène du monde pour éviter la guerre civile à son pays : six cents grenadiers l’accompagneront là-bas, paraît-il. Il y a prise d’armes demain matin ; c’est notre dernière revue !

— Six cents hommes l’accompagneront !

Ce fut en se répétant cette phrase que Jean se dirigea vers le Palais, décidé à se présenter à l’Empereur lui-même, malgré l’heure avancée, et à obtenir de lui la faveur de faire partie de ces six cents privilégiés.

Jean était tellement absorbé par ses réflexions qu’il alla se heurter dans le grenadier placé en sentinelle au sommet du grand escalier.

Soudain deux cris retentissent, poussés en même temps :

— Mon colonel !

— Grimbalet !

Et je dois renoncer à vous dépeindre, mes enfants, la scène qui suivit cette reconnaissance imprévue.

Grimbalet riait et pleurait à la fois. Son faciès mobile et grimaçant était en même temps comique et tragique ; et les deux bras de Jean Tapin s’étant ouverts, il s’y précipita en jetant un cri qui ressemblait à un sanglot.

— Mon colonel, mon colonel !

Ah ! ces affections, ces rudes affections de la vie militaire ! Qu’elles sont douces au cœur dans les moments noirs, qu’elles sont réconfortantes dans les tournants difficiles, qu’elles sont belles aux heures de sacrifice !

Vous la chercherez en vain ailleurs, mes enfants, car c’est la communauté des dangers qui les fait naître et les rend durables. C’est le sentiment d’abnégation qui, animant tous les soldats d’une même patrie du haut en bas de l’échelle hiérarchique, rapproche les chefs de leurs subordonnés ; et cela est si vrai que cette affection atteint sa plus haute expression dans la marine parce que, là, le danger est de tous les instants.

Quand les premières effusions furent terminées, Jean renouvela son éternelle question :

— Et l’Empereur ?