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— Oui ! répondit le commandant ; mais attends un peu. Il faudra voir quand nous aurons tiré cinq à six lieues. »

De fait, au moment prévu par le commandant Dorval, Jean Tapin sembla faiblir.

« Eh bien ! Jean, ça commence à être lourd, ton sac ? lui demanda le colonel.

— Oh ! non !

— Vraiment ! ça va ? Tu n’es pas fatigué ?… Il me semble que tu tires un peu la jambe. »

L’enfant rougit jusqu’aux oreilles.

« Non ! citoyen colonel, je ne suis pas fatigué, » dit-il fermement. Bernadieu sourit.

« Tu es brave ! Tu fais preuve d’énergie. C’est très bien ! Je suis content de toi. Seulement, je m’y connais un peu, moi aussi… Tu n’es pas encore habitué à ton sac. Attends la voiture de Catherine, tu monteras avec elle. En voilà assez pour une première fois.

— Oh ! non, colonel ; je ne veux pas.

— Tu ne veux pas ! reprit le jeune officier en faisant mine de gronder l’enfant ; tu ne veux pas !… Qu’est-ce que c’est qu’un soldat qui discute !… La première qualité d’un soldat français, n’eût-il que douze ans comme toi, Jean Tapin mon ami, c’est l’obéissance. Allons ! hop ! sac à terre !… Laisse passer la colonne et fais ce que je te dis. »

À regret, Jean dut obéir ; mais il ne déposa pas son sac, dont pourtant les bretelles lui serraient bien fort les épaules, et il laissa défiler le régiment.

« Eh ! l’enfant… lui jetaient en riant les soldats, ça ne va donc plus ? T’es las !… ça pèse sur le dos ! »

Jean eût donné gros pour rejoindre les tambours.

« Mais non ! répondait-il, rouge de confusion et cherchant une excuse ; c’est le colonel qui veut… qui m’a dit…

— Il a raison, le colonel… »

Et les hommes riaient ; mais quelques-uns, des vieux sergents aux cheveux gris, pensèrent, en le voyant, à leurs enfants du même âge, restés à Paris sous l’aile maternelle, et une tendresse inconsciente leur monta au cœur, pour ce gamin à la figure douce, aux cheveux bouclés, aux yeux vifs, qui partait insouciant et gai au-devant de dangers inconnus, déjà secoué par le souffle qui emportait les hommes faits.