Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/430

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Un silence solennel se fit soudain et les habitants de Fontainebleau qui se pressaient à la grille du Palais pour le voir encore et qui entouraient la voiture dans laquelle il allait prendre place avec les commissaires étrangers, se figèrent dans la même immobilité que les soldats.

Napoléon était très pâle et ses yeux enfoncés dans leur orbite brillaient d’un feu étrange.

Il descendit lentement le grand escalier, suivi du général Bertrand, parcourut silencieusement les rangs des grenadiers, puis leur faisant former le cercle, il prononça d’une voix forte quoique émue, les paroles suivantes que je vous transcris ici, mes enfants, parce qu’elles appartiennent à l’Histoire :


« — Soldats de ma Vieille Garde, je vous fais mes adieux. Pendant vingt ans je vous ai conduits sur le chemin de la victoire ! Pendant vingt ans, vous m’avez servi avec honneur et fidélité ! Recevez mes remerciements !

« Mon but a toujours été le bonheur et la gloire de la France ; aujourd’hui l’Europe entière est liguée contre moi : avec vous et les braves qui me sont restés dévoués, j’aurais pu résister encore à tous les efforts de mes ennemis ; mais j’eusse allumé la guerre civile au sein de notre chère patrie. Que mon départ lui évite ce déchirement.

« N’abandonnez pas votre pays malheureux : soyez soumis à vos chefs et continuez de marcher dans le chemin de l’honneur où vous m’avez toujours rencontré.

« Ne soyez pas inquiets sur mon sort : de grands souvenirs me restent, je saurai occuper encore noblement mes instants. J’écrirai les grandes choses que nous avons faites ensemble.

« Officiers et soldats, je suis content de vous ! Je ne puis vous embrasser tous, mais j’embrasserai votre général… Adieu, mes amis !… Adieu, mes enfants ! »


Et s’adressant au général Petit :

— Venez, général, dit-il.

Alors le général Petit s’approcha et Napoléon l’embrassa avec effusion.

— Qu’on m’apporte l’aigle et que je l’embrasse aussi, dit encore l’Empereur.