Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/433

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eut comme une évocation de toute sa vie militaire ; il remercia Dieu qui l’avait faite telle et qui, au lieu de le laisser isolé, lui avait conservé ses plus chères affections : la compagne chérie qu’il allait revoir, les enfants en qui il revivait et le grand Empereur dont il partagerait l’exil.

D’un mouvement fébrile, il poussa la porte : des cris, des sanglots, des soupirs étouffés jaillirent autour de lui. Lisette, folle de bonheur, se jeta en pleurant à son cou, Henri et Jean l’entourèrent de leurs petits bras. Les baisers, les exclamations se croisèrent, suivis de regards et de silences plus éloquents que toutes les paroles ; et dans l’atmosphère d’ardente affection où il revivait soudain, Jean connut le bonheur le plus complet qu’il soit donné à l’homme de rencontrer.

— C’est fini !… c’est toi ! tu ne vas plus me quitter, jamais, jamais ! Oh ! mon Jean !

Ce ne fut pas sans peine que le jeune colonel expliqua à Lisette qu’il comptait suivre l’Empereur à l’Île d’Elbe.

— Mais, ajouta-t-il, tu m’y rejoindras avec les enfants ; alors nous ne nous quitterons plus et nous ne le quitterons plus.

Jacques Bailly qui survint, bien heureux lui aussi, approuva aussitôt. Il se chargeait d’amener Louise et ses enfants à l’Île d’Elbe lorsque Jean aurait trouvé, à Porto-Ferrajo, capitale de l’Île, une installation convenable.

Mais quand, au milieu de leurs projets d’avenir, Jean mêla le nom de son père adoptif, il vit les yeux de sa femme s’emplir de nouvelles larmes, et ce fut avec une douloureuse stupeur qu’il apprit que son vieux Belle-Rose et son vieil ami La Ramée n’étaient plus.

Hélas oui ! tandis que la mort épargnait Jean Cardignac au milieu des batailles les plus meurtrières et à cinq cents lieues de France, elle avait frappé les deux vieux du même coup, aux portes mêmes de Paris.

Mais cette mort était bien celle qui convenait à des braves de leur trempe, car ils étaient tombés face à l’ennemi, au champ d’honneur !

Fous de colère et de désespoir en voyant les Alliés s’approcher de la capitale, les deux vieux « Mayençais » s’étaient joints à tout ce que Paris comptait d’hommes de cœur : gardes nationaux armés de piques, vétérans des dépôts de la Garde, élèves de l’école Polytechnique, débris de tous les corps d’armée ; et bien que chargés d’ans et infirmes, ils s’étaient présentés au maréchal Moncey qui défendait la barrière de Clichy.