Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/453

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— Vous allez me comprendre : pendant que nous étions dans cette ambulance improvisée, les Autrichiens de Clerfayt, renforcés à notre insu, reprirent l’offensive et leurs obus arrivant dans la grange où nous nous trouvions, y mirent le feu instantanément ; on n’eut que le temps d’en extraire quelques blesses, mais on y laissa les morts et quand je m’éloignai, la grange entière était en flammes !

— C’est horrible ! horrible ! murmura le vieillard les traits contractés ; j’avais tout supposé, excepté l’affreuse vérité ; jamais je ne pourrai donner ce détail à sa veuve. Mieux vaut qu’elle ignore à jamais notre rencontre d’aujourd’hui…

Un silence pesant succéda à cet entretien. Le vieillard se leva avec effort.

— Quoi qu’il en soit, colonel, dit-il, permettez-moi de vous restituer cet autre médaillon trouvé aussi sur vous, paraît-il. Il doit représenter des êtres qui vous sont chers ; plus heureux que moi vous les reverrez !

Jean Cardignac saisit avec transport la miniature qui avait reçu ses derniers adieux le soir de Waterloo, contempla avec amour les trois têtes chéries qu’il ne croyait plus revoir et les couvrit de baisers.

— Oh ! merci, général, dit-il… merci !

— Ne me remerciez pas, car je vous demande de m’abandonner en échange la relique que vous avait donnée mon enfant.

— Certes, répondit Jean ; elle est à vous : je ne la considérais que comme un dépôt et je me reproche aujourd’hui de n’avoir pas fait des recherches à son sujet en passant à Iéna en 1806, car Saalfeld n’en est pas loin.

— J’étais moi-même à Iéna, dit le vieillard ; nous étions donc en face l’un de l’autre alors, mais les desseins de la Providence sont impénétrables et il était écrit que nous ne devions nous rencontrer qu’au bout de cette série de guerres qui ensanglantent l’Europe depuis vingt-trois ans. Dans tous les cas vous pouvez bénir la rencontre que vous avez faite à la Croix-au-Bois, car c’est à ce médaillon que vous devez la vie.

— Comment cela ?

— J’ai pu non sans peine il y a huit jours, retrouver le soldat qui l’avait trouvé sur vous et lui-même eut plus de peine encore à vous retrouver, car vous étiez déjà allongé dans une des fosses que creusaient les paysans belges sur tous les points du champ de bataille. Je dus même ordonner, de la part