Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/69

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Il vit quelques bataillons prussiens monter à l’assaut des retranchements de Saint-Juvin ; puis les grands chapeaux de nos soldats émergèrent des abatis et des redoutes, et aussitôt les Français, hurlant, se précipitèrent à la baïonnette sur l’ennemi, qui descendit la côte plus vite qu’il ne l’avait montée.

Jean battit des mains, les yeux brillants de fièvre.

— Ça ne sera donc jamais notre tour ? dit-il à la cantinière quand l’action eut pris fin.

— Mon pauvre enfant ! répondit-elle avec un sourire triste, il sera toujours assez tôt.

Mais Jean n’était pas seul à juger le temps long : officiers et soldats s’impatientaient, et commençaient à trouver pénible l’inaction dans laquelle les maintenaient les lenteurs de Brunswick.

— Pas la peine, vraiment, de nous avoir dérangés ! disait Belle-Rose à ses tambours. Nous étions subséquemment aussi bien dedans la capitale.

— Tu peux même dire qu’on était mieux ! riposta le caporal Rongeard ; car dont auquel que ça c’est pas le « frichti » qui nous étouffe.

— Ça, ça n’est rien ! dit un tambour ; je ne réclame pas pour la gamelle. Mais, au moins, qu’on nous occupe : j’en attraperai la jaunisse ! qu’on nous lâche « dessur » ces Prussiens : on leur fera la conduite jusque chez eux, une fois pour toutes.

En effet, les distributions n’étaient pas précisément régulières. Certains jours, des régiments entiers ne reçurent pas leur ration ; mais aucun ne se plaignit !

— On se serre le ceinturon d’un cran ! disaient en riant les hommes.

Le patriotisme leur faisait oublier la faim.

Songez, mes enfants, que l’approvisionnement régulier d’une armée est peut-être la chose la plus difficile qui soit au monde.

Il faut pour cela des vivres d’abord ; par suite, beaucoup d’argent pour en acheter ; et cela n’est pas le plus difficile !

Il faut, de plus, les transporter en temps utile vers chacun des corps de troupe, ce qui ne peut se faire qu’avec beaucoup d’ordre et un énorme matériel de voitures et de chevaux.

C’est ce qui vous explique en partie l’inaction dans laquelle était restée l’armée prussienne après la prise de Verdun. — C’est dans cette ville qu’elle