Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/77

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— Attention ! dit Belle-Rose qui, toujours calme comme à une parade, leva sa haute canne.

Les tambours roulèrent, et Jean partit avec eux, au pas de course.

Une exaltation l’empoigna, et il se mit à crier : « En avant ! en avant ! » d’une voix aiguë qui perçait, au milieu du fracas général. Des cris, des hurlements, le « Ça ira » et la « Marche de l’armée du Rhin » retentirent, poussés par des milliers de poitrines.

Une houle humaine se précipita, baïonnette haute, sur les Autrichiens.

Jean suivait, criant toujours, perdant haleine, mais battant à tours de bras, sans voir, sans entendre.

Il eut la sensation d’une ronde folle, sauvage, frénétique, qui se dansait autour de lui dans un chaos d’uniformes, dans un bruit effroyable, traversé des éclairs des baïonnettes rougies.

Puis, plus rien ! Rien qu’un bourdonnement qui lui battait sous le crâne.

La lutte était finie ; les Français vainqueurs avaient chassé de la Croix-aux-Bois les Autrichiens dont beaucoup jonchaient le sol ; des commandements retentirent ; les officiers rassemblaient leurs hommes.

Jean, apercevant alors le colonel Bernadieu qui ralliait la neuvième autour du drapeau troué par plusieurs balles, se ressaisit et courut à lui.

— Ah ! te voilà, dit l’officier. Tu n’as rien ?

— Non !

— Je suis content, mon petit Jean.

Et le colonel ému l’embrassa.

— Mais, reprit-il, si tu n’as pas été touché, tu as perdu ton pompon.

L’enfant, pour voir, retira son chapeau.

— Tiens ! c’est vrai, fit-il.

Mais le colonel le lui avait enlevé et le regardait sérieusement.

— Ah ! mon pauvre petit Tapin, dit-il, tu l’as échappé belle !

Et devant l’interrogation muette de l’enfant.

— Tiens ! reprit-il, regarde, une balle dans ta cocarde… en plein milieu… elle y est restée… deux pouces plus bas… pauvre enfant !

Mais Jean était rouge de plaisir.

Il avait été touché ! songez donc ! et en face, bien en face !