Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/105

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Ah ! mon lieutenant ! J’serai rudement content ! C’est pas tout le monde qu’aura vu chose pareille ! N’empêche, j’suis content !

Et il sortit.

On s’amusa ainsi à prolonger l’erreur de Bouloche, et ses camarades, les ordonnances, entretinrent avec un soin jaloux cette mauvaise plaisanterie — bien inoffensive, il est vrai — qui fit pendant plusieurs jours la joie du bivouac.

Or, si ce qu’avait déclaré le lieutenant d’état-major était une amère fantaisie, du moins, la fin de sa phrase contenait une vérité : Bugeaud avait réussi, par son intelligence, à amener Abd-el-Kader à signer avec la France un traité de paix.

On le connaît sous le nom de traité de la Tafna, à cause de l’endroit où eut lieu la signature.

Une entrevue, à égale distance des deux camps, avait été décidée, où Bugeaud et Abd-el-Kader, escortés chacun de leur état-major, devaient se rencontrer.

Bouloche devait suivre avec le peloton d’escorte, pour tenir les chevaux pendant l’entrevue.

Il allait donc enfin pouvoir considérer ces femmes sauvages dont on avait tant parlé !

L’entrevue fut du reste grandiose.

L’Émir avait amené les plus riches de ses cavaliers, qui formaient autour du tapis où il s’était assis un vaste cercle. Il voulait donner aux Roumis une grande idée de sa puissance, et certes le spectacle était impressionnant.

Bugeaud, coiffé de son haut képi, tout simple dans sa tunique noire, s’assit, lui aussi, après les salutations d’usage, et la conversation commença.

Lorsqu’elle fut terminée, le général français se leva le premier ; mais Abd-el-Kader ne bougea pas.

Il restait assis, avec l’intention bien évidente de montrer à ses soldats sa supériorité indiscutable.

Cet acte voulait dire :

— Voyez ! le chef des Français est venu m’implorer. Il s’est levé, je suis resté assis. Je suis le Maître.

Mais Bugeaud ne l’entendait pas de cette oreille. Il eut un froncement de