Mais ayant toisé le visiteur, examiné son air râpé, sa tenue misérable, Bouloche déclara :
— Mon capitaine est absent !
— Bien ! répondit l’autre avec résignation, je reviendrai.
Et sur sa carte, il ajouta cette mention :
« Voudrait entretenir M. le capitaine Cardignac d’une voiture à vapeur de son invention. »
Ce Dietz est le père de l’automobilisme en France : c’est à lui qu’on doit la première voiture sans chevaux.
Il sortit triste et voûté.
Et quand Bouloche remit à Jean la carte annotée :
— Mais sapristi ! tu aurais dû le faire entrer, s’écria l’officier. — Une voiture à vapeur… allant sur route, n’exigeant pas l’emploi du rail… Mais tu ne sais donc pas que cette invention-là ferait faire un pas énorme aux transports militaires ; qu’on pourrait, grâce à elle, traîner des canons de gros calibre et les amener sur les champs de bataille… ce qu’on n’a jamais pu faire !
— Je comprends bien, fit Bouloche, sentant qu’il avait fait une bêtise… mais il n’avait pas l’air très.. : très comme il faut, ce monsieur…
Mais Jean s’échauffait de plus en plus.
— Comme il faut !… c’est cela qui m’est égal !… Une voiture à vapeur, poursuivit-il, ce serait une vraie révolution dans la question des convois, ces convois interminables qui encombrent les routes derrière les armées en marche : remorqués par la vapeur, ils auraient une longueur moitié moindre et marcheraient deux fois plus vite… Et tu as éconduit l’homme qui peut-être avait résolu ce problème !…
— Mon capitaine, il a dit qu’il reviendrait ; soyez, sans crainte, vous le reverrez un de ces jours.
— Tu n’es qu’un imbécile !
— Oh ! mon capitaine, fit Bouloche qui cette fois n’était plus content.
Et jamais Dietz ne revint.
Qu’est-il devenu ? Personne ne le sait, et l’histoire des inventeurs est muette à ce sujet.
Pourtant son premier essai avait une réelle valeur et lui donnait bien le droit d’être au moins écouté.