Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/322

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de son désespoir furent terribles : en vain sa sœur essaya de le calmer, de lui prouver que la résignation à la volonté divine était la plus douce et la plus efficace des consolations : il s’abîma dans une violenté crise de larmes.

Puis une idée fixe s’implanta dans son cerveau et ne le quitta plus.

À tout prix, il ne voulait pas que les restes de son bienfaiteur fussent pour toujours exilés sur cette froide et lointaine plage de Crimée, perdus au milieu de l’ossuaire gigantesque que la France allait y laisser.

Certes, les Russes auraient des soins pieux pour ces reliques de héros qu’on leur confierait en partant ; mais Pierre ne pouvait supporter l’idée qu’il ne pourrait plus jamais venir pleurer sur la tombe de son père adoptif et, aux heures noires, lui demander dans une prière le conseil qui guide et qui console. Aussi avant que les dispositions fussent prises pour l’inhumation du commandant Cardignac, inhumation qui devait avoir lieu en même temps que celle des centaines de braves tombés à Malakoff, il se mit en campagne pour obtenir le transport en France de la chère dépouille.

À tout autre moment, la chose eût été assez facile à obtenir. Maintes fois, le Ministre de la Guerre avait accordé l’autorisation de rapatrier les corps d’officiers supérieurs tués pendant le siège : mais plus de cent cinquante officiers avaient succombé le 8 septembre, parmi eux, des généraux et colonels en grand nombre ; et Jean Cardignac, qui de son côté avait eu la même pensée et avait tenté une démarche personnelle auprès du Maréchal Pélissier, n’avait pu obtenir, de l’inflexible commandant en chef, le consentement désiré : « La flotte, avait-il répondu, allait avoir assez à faire pour rapatrier les vivants. Sébastopol pris, la moitié au moins du corps de siège allait rentrer en France, et tous les bâtiments disponibles devraient concourir à cette lourde tâche. ».

Pierre ne se découragea pas. Tout d’abord il avait paré au plus pressé en sollicitant du médecin qui avait assisté aux derniers moments de l’officier l’embaumement du corps ; puis, sous la direction du lieutenant Vautrain, les meilleurs ouvriers des deux escadrons de chasseurs d’Afrique avaient fabriqué un cercueil en chêne, pendant que les artilleurs de Jean, possédant une forge et les outils nécessaires, lui confectionnaient une enveloppe de zinc, soigneusement soudée et parfaitement étanche.

En allant à Kamiesh pour se rendre compte des bateaux en partance, Pierre remarqua un transport sarde, sur lequel allait s’embarquer une petite