Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/341

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vient troubler, et la douce créature qu’il avait aimée d’une affection silencieuse reposait maintenant auprès de lui.

Ces deux êtres dignes l’un de l’autre, et qui n’avaient pu s’appartenir pendant la vie, étaient désormais unis dans la mort.


Pierre fut débarqué dans un petit port voisin de Rapallo, et, après quelques jours de repos nécessaire, surtout à l’enfant, il gagna Gênes. Par bonheur il avait placé dans une ceinture de cuir, qui ne le quittait pas, l’argent qui lui avait été remis au départ, et il n’avait à implorer la charité de personne.

Il se borna, en arrivant à Gênes, à aller trouver le consul de France, lui raconta son naufrage et le pria de faire parvenir à son adresse une longue lettre qu’il écrivit à Mme Jean Cardignac pour la mettre au courant de sa triste odyssée.

Le consul de France, M. Petitpied, était un excellent homme, serviable et plein de cœur, que le récit du jeune homme intéressa au plus haut point. Il avait une nombreuse famille et offrit à Pierre de se charger, pendant quelques jours, de son petit protégé.

Pierre accepta, car il avait un devoir à remplir auquel il n’eût voulu se soustraire à aucun prix, celui d’aller porter à la veuve et aux enfants du capitaine Renucci le dernier adieu du malheureux naufragé.

Aussitôt donc qu’il le put, laissant le petit Russe aux soins de Mme Petitpied et muni d’effets civils, il prit le train pour Milan.

Dès son arrivée dans cette ville, il fut frappé du grand nombre de soldats autrichiens qu’il rencontra ; comme les Français, ils portaient le pantalon rouge ; mais leur tunique était blanche et ils étaient coiffés d’une espèce de shako en cuir bouilli.

Des patrouilles armées parcouraient les rues ; les officiers, l’air provoquant, le revolver en bandoulière, allaient par groupes ; sur la place de la cathédrale, une batterie était en position, canons braqués. On pouvait se croire dans une ville en état de siège.

Pierre n’eut pas de peine à trouver la maison de la famille Renucci : cette famille était connue à Milan comme une des plus patriotes, et chacun savait que son chef s’était expatrié pour servir dans l’armée piémontaise.

Aussi, la première figure que rencontra le jeune homme après avoir